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Le mercredi 8 avril 2015, au centre social de Bellevue, nous sommes partis de la notion de radicalisation, phénomène que Karim Mokhtari, invité à Brest par l’association GENEPI (Groupement Etudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées), a pu observer durant sa détention. Nous avons entendu son parcours et son cheminement. Retour sur le récit d’une épreuve.

L’enfant sans parents

Avec l’enfance et la jeunesse qui ont été les siennes, comment Karim Mokhtari pouvait-il percevoir le monde ? Né d’un père algérien, tôt parti, et d’une mère française que Karim Mokhtari décrit comme raciste, l’enfant débute par l’échec scolaire, la violence et la délinquance. Placé dans des foyers d’éducation spécialisée, il y est ghettoïsé. Là non plus, il ne sait pas vivre avec les autres. Comment alors voir l’avenir autrement que comme une fatalité tragique ? Comment ne pas se considérer comme une victime ?

Émancipé avant la majorité, il a à peine le temps d’apercevoir la vie d’adulte, qu’il se retrouve en prison, âgé de dix-huit ans, et condamné à dix ans de réclusion pour un braquage qui a entraîné la mort d’un homme sans intention de la donner. Là encore, la violence. Mais aussi le début du cheminement pour Karim Mokhtari : comment la société l’accueillira-t-elle ensuite ? Considérera-t-elle sa dangerosité ou son potentiel positif ?

La prison apparaît comme le lieu de l’épreuve, que l’on peut subir (y compris les passages à tabac au mitard) – ou que l’on peut surmonter. Le lieu où la destruction arrive à son terme, mais où il devient possible de se reconstruire avec les meilleurs morceaux. Comment réintégrer société sans avoir peur d’être jugé à nouveau ? Karim Mokhtari découvre que, tout compte fait, il ne croit pas au déterminisme. Lieu de rétention, de privation de liberté, la prison est aussi, quoi qu’on en pense, un lieu de la République, que Karim Mokhtari présente comme la mère qu’il n’a jamais eue.

Des rencontres

En fait de père, il découvre la religion. Une religion fraternelle. Une religion tout en modestie, frappante pour lui qui ne peut pas encore se séparer de son jean et de ses baskets de marque. Une religion que l’imam auto-proclamé de la prison l’encourage à rejoindre. Karim Mokhtari apprend alors des versets du Coran en phonétique, imite mécaniquement les gestes. Mais c’est l’époque des attentats à Saint-Michel, et l’administration pénitentiaire s’inquiète du taux grandissant de conversion. Tous les convertis sont d’office vus comme des radicaux, et des transferts disciplinaires en série sont organisés. C’est alors que l’imam lui dit que son devoir est de protéger l’islam, c’est-à-dire de tuer des mécréants. Mais Karim Mokhtari était entré dans l’islam pour devenir quelqu’un d’autre et il comprend que cet imam fait du prosélytisme radical. Il le refuse.

Autre rencontre spirituelle, fruit du hasard d’une erreur, celle d’un aumônier catholique, venu voir un autre détenu. Dans la discussion, Karim Mokhtari découvre que le poids de ses souffrances pourrait être proportionnel à sa force intérieure. L’aumônier lui parle de responsabilité, de prendre en main sa vie, au lieu d’attendre que la société le change.

Rencontre encore que celle du plus ancien détenu de France, en prison depuis 37 ans et demi, et nouvelle leçon de vie, puisque ce sphinx lui demande la différence entre une minute et une autre minute. La clé de l’énigme est dans la manière d’occuper la minute ou au contraire de la laisser passer. Karim Mokhtari saisit qu’on peut être maître de son temps, que celui-ci n’est pas un ennemi mais un allié.

Trouver sa place dans la société

À sa sortie de prison, Karim Mokhtari a été, entre autres, membre de plusieurs associations de réinsertion, coordinateur national et formateur dans le cadre du service civique, a fondé l’association Carceropolis, pour ne citer que quelques-uns de ses engagements.

Ce qu’il observe, c’est que la différence est une richesse, et que cette vérité n’est pas connue de tous. Au contraire, la tendance est à la ressemblance. Dès lors, être différent, c’est s’enfermer dans une fatalité. Les jeunes qu’il rencontre, avec lesquels il parle du radicalisme, lui rétorquent qu’ils ne seront jamais acceptés par la société. Et ils se prennent pour des bonhommes parce qu’ils rapportent à la maison deux cents euros du trafic de drogue pour payer le loyer.

Le travail de Karim Mokhtari, c’est de casser ce fatalisme, de leur montrer une autre manière d’appréhender le monde et d’y trouver sa place, et d’apprécier la richesse de la diversité des cultures. Il essaie aussi de leur apprendre à faire quelque chose de la violence, qui ne soit pas destructeur ou tragique.

« Nourrir le dragon petit à petit »

Karim Mokhtari estime que les personnes qui se radicalisent arrivent à l’issue d’un processus de désinsertion sociale déjà bien engagé. Le radicalisme aide la personne à s’insérer, à trouver une place. Mais finalement, si elle explose, c’est parce qu’elle a déjà implosé.

Jeune homme, Karim Mokhtari était capable de sauter à pieds joints sur la tête de quelqu’un, et de se demander comment il nettoierait ses chaussures. En prison, notamment durant ses cent trente-cinq jours de mitard, il a rencontré son « dragon ». La violence fait partie de lui. Mais il y a ceux qui se font déborder, et ceux qui acceptent de l’avoir en eux, et qui le nourrissent petit à petit.

Karim Mokhtari et Charlie Carle, Rédemption, Itinéraire d’un enfant cassé, éd. Scrineo

Carceropolis

Le genepi

Les mots de la Tribu 

Natalia LECLERC
About the Author

Notre agrégée de lettres passe en revue tous les articles, les relit, les corrige. Elle écrit pour différentes revues des articles de recherche en littérature et sciences humaines et s'appuie également sur ses multiples casquettes pour développer les partenariats du Poulailler, en russe, en français, en italien... Natalia pratique le théâtre amateur et bavarde à longueur de journée (en russe, en français, en italien...).

 

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