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Personnages : Socrate, Criton, les Lois, et un esclave.

Lieu : la prison d'Athènes.

 

Criton : Le moment est venu, Socrate, de prendre une décision.

Socrate : Je sais ce que tu vas me dire et tu sais quelle est ma réponse.

Criton : Socrate, mon vieil ami, mon ami d'enfance, ton exécution est pour demain. Nous ne pouvons laisser faire une telle injustice. Nous, tes amis, tes proches, je suis venu de leur part pour venir te convaincre une dernière fois.

Socrate : Tu sais bien que c'est inutile. Ma décision est prise et elle l'était depuis le début. Je ne m'évaderai pas comme tu vas me le proposer à nouveau. Aussi injuste soit-elle, j'obéirai à la sentence parce que je respecte les lois.

Criton : Cela n'a pas de sens, Socrate. En acceptant la sentence, tu donnes raison à tes accusateurs. Tu ne vas tout de même pas faire triompher un Mélètos, un Anytos ! Par les dieux, laisse-moi te convaincre.

Socrate : Essaie toujours ! Et passons mes derniers moments à argumenter.

Criton : Les gens ne comprendront jamais, Socrate, que tes amis si nombreux, si fidèles et tellement attachés à ta personne n'aient rien fait pour t'aider, ni quand Mélètos a déposé sa plainte, ni au moment du procès, ni maintenant pour organiser ta fuite. C'est une question d'honneur, Socrate. Les amis doivent tout faire pour aider l'un des leurs quand il est en danger.

Socrate : En quoi l'opinion des gens nous regarde-t-elle ? Tu sais combien la foule est sensible à la rumeur et passe sans cesse d'une opinion à son contraire. Elle est prompte à s'indigner et rarement à raisonner.

Criton : Tu as tort, Socrate. Même si la foule se trompe souvent, il faut aussi tenir compte de son opinion. On l'aurait fait que nous n'en serions pas là. Et puis, Socrate, ce n'est pas une question d'argent. Je mets ma fortune à ta disposition pour mettre au point ton évasion.

Socrate : Je crois que je vais te faire faire des économies.

Criton : Si tu ne penses pas à toi, pense à tes enfants. Tu as trois garçons qui ne sont pas encore élevés. Que deviendront-ils quand ils seront orphelins ? Le devoir d'un père se place avant tout autre considération. C'est pour eux que tu dois rester en vie, Socrate. Laisse-nous faire, le temps presse.

Socrate : Je te remercie, Criton, pour ta sollicitude. Mais examinons ensemble les arguments que nous propose la raison.

J'ai toujours vécu selon un certain nombre de principes. Tu les connais, mais nous allons les reprendre. Dis-moi d'abord, Criton, est-ce que tu crois qu'il faut changer ses principes quand le vent tourne et que la situation change ou bien vaut-il mieux les conserver et rester fidèle à soi-même quoi qu'il arrive ?

Criton : Il faut les conserver, Socrate.

Socrate : Mon premier principe reste que le plus important n'est pas de vivre mais de bien vivre. En m'évadant, certes, je continuerais de vivre, mais comment ? comme un fuyard ? un hors-la-loi ? un traître ?

Criton : Pas du tout, Socrate. J'ai des amis en Thessalie qui t'accueilleront et tu vivras bien auprès d'eux.

Socrate : Mon deuxième principe est qu'il faut tout faire pour ne pas commettre d'injustice.

Criton : Mais, Socrate, c'est contre toi qu'une injustice a été commise.

Socrate : Et alors ? Doit-on répondre à une injustice par une injustice ? Doit-on répondre au mal par le mal ? Mais, en ce cas, je serais semblable à mes accusateurs. A quoi bon philosopher si c'est pour oublier tous ses beaux principes à la minute où on nous provoque ?

Criton : Mais, Socrate, est-ce être injuste envers Mélètos que d'éviter le châtiment auquel il te conduit ? C'est peut-être même l'aider en lui évitant la honte d'avoir conduit à la mort l'homme le plus juste de la cité.

Socrate : Il ne s'agit pas de Mélètos. Il s'agit de la cité. C'est envers elle que je serais injuste en m'évadant. Imaginons, mon cher Criton, que les Lois viennent me trouver maintenant pour me reprocher mon projet d'évasion.

Illustration : Alan Gouletquer

Illustration : Alan Gouletquer

Criton : Elles sont justement là, Socrate.

Les Lois : Nous avons entendu dire que tu pensais à t'évader, Socrate.

Socrate : Je ne sais pas encore. Je m'efforce de raisonner.

Les Lois : Procédons à ton habitude, Socrate, par questions et par réponses.

Tu dis qu'il ne faut pas répondre à l'injustice par l'injustice. Pourtant, en t'évadant, tu seras injuste envers nous car tu menacerais de nous détruire.

Reconnais d'abord les bienfaits que nous t'avons apportés. C'est bien grâce à nous que tu as trouvé dans la cité assez de stabilité pour naître d'un couple marié. Et c'est aussi grâce aux institutions que tu as été éduqué. Tu es d'accord que ce sont les lois qui permettent de vivre dans la sécurité et d'éduquer leurs enfants.

Socrate : Je le reconnais.

Les Lois : Crois-tu, Socrate, que tu peux traiter les lois d'égal à égal ou bien penses-tu qu'elles ont une autorité supérieure ?

Socrate : Elles ont une autorité supérieure.

Les Lois : Les lois sont comme des parents envers leurs enfants. Ceux-ci ne doivent pas se rebeller quand bien même il arriverait à leurs parents de se tromper. Tu as un devoir de respect, Socrate. Certes, on peut changer les lois mais c'est toujours par les moyens légaux, c'est-à-dire par des moyens autorisés par la loi.

Socrate : J'en suis convaincu.

Les Lois : Mais voici le principal, Socrate, tu pourrais me dire que tu n'as jamais explicitement consenti à obéir aux lois. Personne n'a jamais signé un document stipulant qu'il acceptait de se soumettre aux lois et pourtant, dès que quelqu'un accepte de vivre sous les lois d'une cité, il s'engage tacitement à les respecter. Il lui est toujours possible, en effet, dès qu'il a l'âge de raison, de quitter la cité qui l'a vu naître pour s'installer ailleurs, dans une autre cité qui lui plairait davantage. Mais s'il préfère rester, c'est qu'il aime sa cité et ses lois, c'est donc qu'il consent à les respecter. Toi, Socrate, as-tu déjà quitté Athènes ?

Socrate : Pratiquement jamais. Une fois seulement pour une expédition militaire. Mais il est vrai que je me suis toujours senti bien dans ma ville d'Athènes.

Les Lois : Ainsi, Socrate, si tu fuyais pour nous échapper, non seulement tu serais injuste envers nous en oubliant nos bienfaits, mais tu violerais tes engagements. Et puis réfléchis, tu serais un paria dans toutes les cités parce que tout le monde verrait en toi, celui qui a refusé d'obéir aux lois. Pire, tu te trahirais toi-même. Toi qui as toujours défendu l'idée qu'il ne fallait pas commettre d'injustice, tu commettrais l'injustice suprême.

Une dernière chose, Socrate, si tu t'évades, qu'adviendra-t-il plus tard, à la fin de ta vie quand tu mourras et que tu devras te présenter devant nos sœurs, les Lois de l'Hadès ? Sache qu'elle ne t'accueilleront pas non plus favorablement. Veux-tu être banni ici-bas et dans l'au-delà ? Examine bien tous ces arguments, Socrate.

Socrate (à Criton) : Voilà, Criton, ce que les Lois pourraient me dire si elles dialoguaient avec moi pour me convaincre. Qu'en penses-tu, Criton ?

Criton : Je crois que tu as raison, Socrate. Les hommes n'ont rien de plus précieux que la vertu et la justice, la légalité et les lois.

Socrate : Et puis, examine ce dernier point, Criton. Ce ne sont pas les lois qui m'ont condamné injustement mais ce sont les hommes.

A ces mots, Criton fait signe à son esclave, qui se tient près de lui. L'esclave sort et, après un bon moment, revient avec celui qui doit donner le poison qu'il porte tout broyé dans une coupe.

 Socrate : Eh bien, mon brave, comme tu es au courant de ces choses, dis-moi ce que j'ai à faire.

L'esclave : Pas autre chose que de te promener, quand tu auras bu, jusqu'à ce que tu sentes tes jambes s'alourdir, et alors de te coucher ; le poison agira ainsi de lui-même. (Il tend à Socrate la coupe contenant la ciguë.)

Socrate porte la coupe à ses lèvres et la vide jusqu'à la dernière goutte avec un calme parfait.

Tous les amis rassemblés manifestent leur peine par des pleurs.

Socrate : Que faites-vous là ? Cela ne sert à rien de pleurer. Allons, du calme et de la fermeté !

L'esclave : Sens-tu le poison qui commence à faire effet, Socrate ? (Il lui pose la main sur les pieds et sur les jambes.)

Sens-tu tes pieds, sens-tu tes jambes ?

Socrate : Mes jambes s'alourdissent. Je les sens de moins en moins.

L'esclave : Allonge-toi, Socrate. (Il se couche sur le dos, puis se retourne vers Criton.)

Socrate : Criton, n'oublie pas que nous devons un coq à Esculape. Faites ce qu'il faut, ainsi quand je partirai, ma vie sera en ordre.

Criton : Bien sûr, Socrate, nous ferons le sacrifice aux dieux.

Criton s'approche de Socrate et lui ferme les yeux. Tous penchent la tête vers le corps.


 

Texte de Frédérique Maréchal et Patrice Poingt, d'après les travaux des élèves du Collège de l'Harteloire.

Illustration d'Alan Gouletquer.

 

 

 

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