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La BD Angle Mort va paraître dans une nouvelle revue brestoise. L'histoire se déroule à Brest et son héros est un personnage qui oscille entre Corto, Philip Marlowe et... Miossec. Rencontre avec Pierre Malma, dessinateur et Malo Durand, scénariste.

Pouvez-vous nous présenter cette nouvelle revue Casier(s)?

MD: Le projet est né du désir de quelques dessinateurs devenus professionnels de renouer avec le plaisir de la création collective qui avait animé le fanzine des Violons dingues il y a plus de 15 ans. Ils ont trouvé dans l'association Brest en Bulle, que je préside depuis juin 2014, l'appui nécessaire pour réaliser ce projet d'une revue dessinée centrée sur Brest. Ce sera une publication annuelle, d'au moins 160 pages, composée d'histoires aux sujets et aux styles très divers. Le premier numéro va paraître en septembre et rassemble une trentaine d'auteurs, chevronnés ou amateurs, preuve que Brest inspire et qu'elle est une place forte de la bande dessinée.

Aviez-vous déjà le scénario d'Angle Mort en tête ou est-ce la thématique du premier numéro (Les Capucins) qui vous a inspiré ce personnage et cette histoire?

MD: Je suis parti de la thématique et d'une promenade sur les lieux, où la présence de la citerne de fuel devenue incongrue au milieu du chantier a attiré mon attention et stimulé mon imagination. Cette citerne m'a fourni la clé du récit et son dénouement purement graphique. À partir de là, les différentes composantes de l'histoire se sont assemblées comme un puzzle.

PM: Les lieux ont en effet beaucoup d'importance dans cette BD. Brest est une ville militaire et maritime, qui vit avec son passé traumatisant: sa destruction pendant la guerre. On peut voir ce lien entre l'histoire du personnage et celui de la ville. Il y a aussi, à l'inverse, le thème de la reconstruction, Brest cède des terrains militaires comme celui des Capucins et notre personnage évolue dans ce terrain de chantiers en perpétuelle mutation... Tout cet univers brestois, chargé d'histoire, est une matière fertile pour créer un univers graphique.

Pierre Malma, qu'est-ce qui vous a plu dans le scénario d' Angle Mort?

PM: D'abord le fait de pouvoir participer à la revue Casier[s] avec cette histoire et de découvrir le travail d'autres auteurs ayant une grande expérience en BD. Ensuite, la collaboration avec Malo et son scénario. En effet, je m'y suis rapidement plongé en saisissant la ligne directrice de l'histoire, c'est-à-dire la psychologie sombre du héros. Par ailleurs, j'ai beaucoup apprécié la création de la BD. L'histoire se passe dans le quartier de Quéliverzan à Brest. Avec Malo, nous avons fait un travail photographique de repérage in situ, pour que je puisse m’imprégner au mieux des lieux et retranscrire l'ambiance perçue par le dessin. Nous sommes même montés sur l'énorme container au péril de notre vie! Nous avons pu apprécier la vue imprenable sur le pont de l'Harteloire, sur le port de Brest et sur le plateau des Capucins. Cette expérience vertigineuse a permis de créer la couverture qui reprend le container et sa vue panoramique sur Brest. Enfin, voir l'ensemble des planches finalisées était un moment très émouvant. Même si l'histoire est courte, c'est le premier travail abouti en BD que j'ai pu entreprendre.

Quelle musique écoute votre personnage? A-t-il un nom pour vous?

MD: Le personnage est un fan de ska, cette musique née à la fin des années 70 dans les banlieues anglaises de la fusion entre la hargne du rock blanc et les rythmes plus chauds ou festifs de la musique jamaïcaine. En vieillissant, il est resté attaché à cette musique, c'est sa madeleine de Proust. Je ne lui ai pas encore trouvé de nom; étrangement je ne le souhaite pas vraiment, je le laisserais bien anonyme pour conserver son caractère d'archétype, abstrait.

Comment est né, par le dessin, ce personnage à la fois perdu et élégant?

PM: Le point de départ, c'est le personnage imaginé par Malo: la quarantaine, perdu et brisé par la perte de son amour de jeunesse. Il fallait représenter visuellement ce personnage et lui donner de la classe, de la prestance. J'ai proposé de lui attribuer un look Ska en m'inspirant du groupe «The Specials» que Malo avait mentionné dans le scénario: un look qui contraste avec Brest.

Quelle est la symbolique de ce bouquet rouge?

PM: La symbolique du rouge dans l'histoire est très présente. On voit ce rouge (qui se détache des autres couleurs) dans le bouquet de fleurs à deux reprises et dans le sang de l'agresseur. C'est le fil de l’histoire. Cette couleur fonctionne comme un code inconscient, qui permet de décrypter l'histoire et d'en interpréter sa logique. On vous laisse découvrir...

Malo Durand, qu'est-ce qui vous plaît dans le dessin de Pierre Malma?

MD: J'aime son style très graphique lié à sa formation, le fait qu'il fasse passer l'impact visuel avant le réalisme. Il y a dans son trait quelque chose de poétique que l'on trouvait chez Fred (le créateur de Philémon). On le vérifie souvent dans les strips de son blog  où il pratique un humour absurde.

Comment se passe le «mariage» entre un scénariste et le dessinateur? Quelle est votre méthode de travail?

MD: J'ai rencontré Malma grâce à un ami commun, Alain Robet, qui l'a accueilli dans ses cours de dessin à la MPT de l'Harteloire et qui a attiré mon attention sur son talent à l'époque où nous avons lancé le chantier de Casier[s]. Alain m'a transmis un de ses projets précédents et son dessin m'a séduit. Je l'ai donc contacté pour lui proposer de travailler ensemble. À partir de là, un échange s'est mis en place et développé de manière très naturelle car il me semble que l'on se comprend et se complète bien. J'ai amené la trame et les idées principales, il se les est appropriées et les a adaptées à son propre univers. Il a trouvé des solutions pour mettre en images ce que j'avais en tête.

PM: Concernant la réalisation, il y a plusieurs étapes: Malo m’envoie son scénario, ensuite nous visitons les lieux, je crée l'univers graphique (personnage, paysage, style), le storyboard et les planches finales. C'est très agréable de bosser avec Malo, car les tâches ne sont pas séparées entre le scénariste et le dessinateur. Il y a des échanges très enrichissants, avec des conseils mutuels qui me semblent primordiaux afin de créer un bon mariage entre le scénario et le dessin, et de donner une impression de cohérence organique complémentaire.

Votre réaction, Malo Durand, aux premiers visages incarnés de «votre» personnage?

MD: J'ai bien aimé la silhouette et la dégaine que lui avait trouvées Malma, mais il me semblait d'abord un peu raide, pas assez « incarné » justement. Pierre a su le faire évoluer depuis.

C'est un personnage sombre, obsessionnel, dont la vie a été traversée par deux ou trois passions très fortes qui l'ont détruit à petit feu

Que va-t-il devenir?

MD: Nous sommes en train d'y réfléchir. De mon point de vue, l'enjeu est de raconter comment il en est arrivé là, à commettre cet acte raconté dans Angle Mort. C'est un personnage sombre, obsessionnel, dont la vie a été traversée par deux ou trois passions très fortes qui l'ont détruit à petit feu ; c'est ce que nous souhaitons raconter dans un récit au long cours.

PM: Ce projet nous tient à cœur et nous souhaitons le développer. Pour cela, nous sommes vraiment bien entourés. Certains auteurs comme Kris, Bertrand Galic, Briac et bien d'autres, nous soutiennent par leurs conseils avisés. Notre prochaine étape est de trouver une maison d'édition afin de poursuivre l'aventure de notre personnage Ska.

Quelles sont vos influences?

MD: Au cinéma comme en littérature, j'aime les récits ancrés dans des endroits précis, qui donnent par exemple le pouls d'une ville et d'une époque à travers la trajectoire de personnages qui tentent de s'extirper d'une manière ou d'une autre de ce que le quotidien peut avoir de pesant. Je lis actuellement un polar qui répond tout à fait à cette définition : Gravesend de William Boyle (1000e publication de la collection Rivages/Noir). Pour prendre des exemples fameux, Taxi Driver, la série Treme ou Moon Palace (un roman de Paul Auster) sont dans cette veine de récits qui construisent une forme de mythologie urbaine. Je me rends bien compte que les exemples donnés sont tous américains. Il faut dire qu'il y a là-bas une école d'écriture qui dit beaucoup en évitant les lourdeurs de la théorie ou de l'originalité à tout prix.

PM : Mes influences sont multiples. D'abord dans la BD avec des dessinateurs comme Bastien Vivès, Manu Larcenet, Hugo Pratt, Marc-Antoine Mathieu qui parviennent à transmettre une profondeur dans le dessin et l'histoire. Après il y a le cinéma, des réalisateurs comme Chris Marker, S. Kubrick, C. Nolan qui portent un regard d’extraterrestre, et ça fait un bien fou! Et il y a d'autre influences dans l'art naïf et l'architecture médiévale... Mais le plus important c'est Anne, mes voisins, les arbres, le métro, la mer et les rires aussi.

Comment devient-on scénariste de BD? Est-ce qu'on a envie d'écrire des romans parfois (ou pas du tout)?

MD: Je me sentirai plus à l'aise pour répondre à la première question quand j'aurai publié une histoire longue chez un éditeur ; mais c'est clairement une affaire de circonstances et de rencontres avec des gens, comme Malma ou d'autres membres de Casier[s], avec qui je partage des affinités. L'écriture m'a toujours intéressé et j'arrive à un âge où je me dis que c'est maintenant ou jamais. J'ai tendance à fonctionner dans l'urgence et à me placer au pied du mur pour agir.

 

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Emmanuelle Dauné aime lire, regarder, écouter, rencontrer, picorer pour le Poulailler...et surtout "faire passer", partager une culture accessible, qui nous fait nous sentir plus vivants.

 

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