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Propos recueillis par Emmanuelle DaunÉ et Natalia Leclerc

Sur la construction d’un festival: quelle logique préside à la constitution des programmes?

MN: Je pars avec des idées, mais la réalité, ce sont les films qui la donnent. Il faut être très flexible, surtout sur le Brest Off – car pour la compétition, je me laisse une totale liberté pour faire un assemblage.

C’est un peu une erreur d’avoir une idée préconçue, parce que ça peut changer beaucoup, selon les années. Même si on fait une recherche ciblée sur un thème, un genre, ce n’est pas évident de trouver ce que l’on cherche. On a plusieurs critères: la représentation des pays, la durée, la variété des thèmes.

Il y a donc un double aspect: la surprise – recevoir, découvrir des films qu’on ne connaît pas, et chercher: quand je vois un potentiel Brest Off à construire autour de films que j’ai trouvés, je fais des recherches thématiques sur des réseaux, des bases de films, des marchés de films.

Et en termes de dates ?

MN: On considère le copyright. Pour le festival 2014, on ne montre que des films produits en 2013-2014. On programme les films antérieurs dans le cadre de rétrospectives ou d’autres programmes comme l’Europe en court. On se donne alors plus de liberté. Mais on veut mettre en valeur le nouveau cinéma.

Sur la jeunesse des créateurs: comment inviter au festival les tenants des films à succès, des vedettes et autres grands noms ?

FW: Tout au long de l’année, on fait un travail de sensibilisation au court métrage. C’est un outil de travail, notamment auprès des élèves, des étudiants, mais aussi en plein air, l’été par exemple.

On va chercher le public pour proposer un regard différent sur le cinéma à travers les formes courtes. On le fait au niveau local, régional, mais aussi national et européen. On propose des séances spéciales dans des festivals où on est invités. On essaie de rayonner un peu partout avec le court métrage.

Le court au 21ème siècle: un objet cinématographique à part ? un objet d’avenir ?

MN: À part la durée, il n’y a aucune différence entre la conception d’un court et d’un long métrage, de la réflexion à la diffusion. Et cela reste du cinéma plutôt professionnel, d’un niveau très élevé, très maîtrisé, grâce aux nouvelles technologies. Elles rendent accessibles et permettent de baisser le coût des productions.

Est-ce que le court métrage s’est démocratisé ?

MN: Tout le monde a la possibilité de faire des courts, mais le revers de la médaille des nouvelles technologies est qu’elles ont créé la perte d’un type de métiers, d’expertise, d’une culture qu’il fallait avant pour faire un film.

Avant, quand il fallait des bobines de 35 mm pour filmer, il ne fallait pas rater son image ! C’est la même chose qu’avec la photographie numérique. Ça correspond aussi à un monde qui va vite et qui prend moins de temps pour la réflexion, et qui est plus orienté vers le résultat que vers la conception du résultat.

C’est une menace pour le court métrage ?

MN: C’est une menace pour la culture en général ! La quantité ne fait pas la qualité.

Le problème aussi, c’est l’angoisse de la prestation, qui n’existait pas avant. La liberté du court métrage, c’était que les jeunes se sentaient libres, le faisaient avec les copains. Maintenant, c’est devenu une telle industrie qu’un jeune réalisateur qui rate son premier court métrage a des difficultés à faire le deuxième. S’il rate le deuxième, sa carrière cinématographique est finie. Ça crée une pression et une angoisse, mais aussi une homologation au niveau des histoires: les gens pensent que les films dramatiques font prendre leur auteur au sérieux, ce qui est complètement faux ! Et les gens font leur premier court métrage comme si c’était la preuve de la maturité. Mais un premier film, on peut le rater !

Ça tue la créativité ?

MN: Oui, et aussi l’esprit libre ! Voyez Chema Garcìa Ibarra, un des membres du jury. Il fait des films sans moyens, de manière indépendante, avec ses amis, sa famille. Il a des résultats étonnants.

Sur la composition du jury, justement: comment choisissez-vous les membres ? Qu’attendez-vous d’eux ?

MN: Le jury, c’est toujours un compromis. C’est passionnant et très frustrant aussi, parce qu’on n’a pas tous la même vision du cinéma. Nous mettons ensemble des gens très différents et voyons ce qu’ils vont privilégier. C’est notre curiosité: quel point commun vont avoir des personnes qui ont des parcours si différents ?

Les jurys arrivent souvent à trouver une belle force entre eux.

Parmi les nouveautés de l’année, nous avons notamment noté la compétition OVNI: en quoi consiste le changement que vous avez apporté ?

MN: Elle remplace la compétition Cocotte-Minute, et la transition a commencé l’an dernier. C’est un programme historique du festival, fait sur des films qui tendent à disparaître, sans dialogues, plus courts, avec une chute. Aujourd’hui, un jeune réalisateur qui décide de faire un court fait un film de trente minutes, avec des dialogues, ce qui est beaucoup plus facile. Avant, on faisait un court avec deux bobines ; maintenant, on peut filmer pendant deux heures et demi, alors pourquoi faire un film de deux minutes, alors qu’on peut montrer qu’on a du talent !

Cocotte-Minute a cessé d’avoir l’enjeu artistique qui nous intéressait. Mais j’ai préféré ne pas changer trop rapidement, car les spectateurs étaient habitués. OVNI, c’est une tout autre forme de cinéma, qui touche parfois au cinéma plus conceptuel, plus expérimental, sans l’être totalement, car dans le festival, on veut raconter des fictions, des histoires. Ces films ne sont pas difficiles d’accès. Ils demandent peut-être d’être un peu plus cinéphiles, mais pas nécessairement. Dans OVNI, il y a un mélange de formes… différentes !

C’est un défi pour nous par rapport au public, car il n’a pas beaucoup l’opportunité de voir des films étonnants, de ce type, dans les autres programmes. Cette compétition vient ajouter un nouveau volet au spectre de films qu’on propose.

À quoi répond la nouveauté concernant les séances spéciales, mi-film, mi-échange ? Quel public attendez-vous et comment le faire venir dans sa plus grande diversité ?

FW: La diversité des sections répond à la diversité du public. Les compétitions européennes sont assez pointues, en VO sous-titrée. Les compétitions françaises, elles, sont plutôt axées sur les premiers films et films d’école, et on a donc des choses parfois moins abouties mais aussi moins expérimentales. Pour diversifier, les Brest Off et les programmes familiaux font le pendant: les Brest Off, classés en cinéma de genre, sont plus ciblés, plus accessibles. Le Made in Breizh joue aussi ce rôle. La soirée d’ouverture, elle, est ludique, c’est un programme de découverte du court métrage.

Pour les séances spéciales, c’est un peu un pari ! On a décidé de déployer un cycle: on va mettre en avant la rencontre, en proposant une séance volontairement très courte pour favoriser la leçon de cinéma ou la rencontre avec le réalisateur. Le rôle d’un festival, c’est de permettre de mieux comprendre. On bloque la salle et les gens pour ça !

Quel sens donnez-vous à la compétition européenne ?

MN: Pour moi, c’est la base du travail que j’ai amorcé depuis quelques années ici à Brest: faire du court métrage un outil pour en connaître un peu plus sur l’Europe, au plan cinématographique, mais aussi culturel, car l’Europe, ce sont des styles de vie différents. On choisit donc des courts métrages qui représentent des pays, des styles de vie, certaines différences qui plaisent – ou pas ! –, des sensibilités.

Pour moi, c’est une force, car j’espère, à travers ces quarante films des compétitions européennes, faire voyager les spectateurs et leur donner envie de s’intéresser à ces pays.

Mais c’est aussi une faiblesse car le public peut être dérouté ou ennuyé devant un film qui ne leur parle pas.

Mais le court, c’est aussi repartir avec une ambiance, une image…

MN: Ca me fait plaisir ! C’est difficile de juger la compétition film par film. Je la vois comme un ensemble bien construit et il y a une raison à la présence de chaque pièce.

C’est une constellation !

MN: Oui, et la difficulté, c’est que tout le monde n’a pas le même intérêt à découvrir cet univers. Mais l’objectif est d’être une invitation au voyage et à la découverte des cultures différentes.

Quelles sont les spécificités du festival de Brest par rapport, par exemple, à celui de Clermont-Ferrand ?

FW: Les deux festivals ont été créés dans la même période, c’était la vague des années 1980, avec tout un vivier de jeunes gens qui se lancent dans le court métrage. C’est aussi la période de la création de l’Agence du Court métrage en France. On commence à inscrire ça dans les fonds de financement du CNC et des régions. C’était donc l’époque où on avait envie de montrer des courts métrages, au moment également où il disparaissait des salles de longs métrages au profit de la publicité.

La grande différence, c’est que Clermont-Ferrand, c’est Cannes, pour le court métrage. C’est un festival international et c’est le rendez-vous repéré. Vous y avez toutes les chaînes de télé, de partout. Brest, c’est la même chose, mais en moins médiatisé !

De ce fait, à Clermont-Ferrand, la Ville s’implique également beaucoup, car c’est son festival.

À Clermont, il y a Michelin et le festival !

FW: Tout à fait: vous avez de grandes files d’attente, c’est très populaire, inévitable. Alors qu’à Brest, nous avons l’impression d’avoir une marge de manœuvre importante pour ancrer le festival dans les mœurs.

À Clermont, la Ville met l’accent et accompagne, c’est pour elle une carte de visite ; il y a également un lieu qui s’appelle La Jetée, un centre de documentation autour du court métrage, avec des documentalistes de la ville.

Pour ce qui nous concerne, nous avons délibérément choisi un projet européen, inscrit dans l’Europe et ses problématiques. Et nous essayons d’être précis là-dedans, d’avoir une vision de l’Europe dans le choix des films, qui est un peu plus pointu.

À Clermont, ils ont des comités de sélection, et ce que vous voyez est le fruit d’un travail collectif, d’un consensus. Certains programmes peuvent sembler bizarrement assemblés ! Alors qu’à Brest, c’est le choix du programmateur qui essaie de construire quelque chose avec une vision.

L’autre différence, c’est aussi la dimension humaine: Brest est excentré, on a cherché comment favoriser la rencontre. Les séances spéciales, c’est la résultante de ce qui se fait ici. Quand les gens sont à Brest pour trois jours, on les « utilise » pour favoriser la rencontre. Ce qui est presque impossible à Clermont, où c’est cloisonné entre spectateurs et professionnels.

Quel est le destin des films primés à Brest ?

FW: Pour ceux qui ont gagné une diffusion, ils repassent ! Pour les autres, c’est souvent un accompagnement pour un autre film, même s’il est soumis aux mêmes critères que les autres. On essaie de suivre les auteurs. Si ce n’est pas dans la compétition, on les met en lumière dans un autre programme, ou à un autre moment de l’année. On crée un compagnonnage avec les auteurs, et autant que possible, on essaie de remontrer des films, faire venir les auteurs. Ça peut être une utilisation grand public pour une programmation de cinéma en plein air, autre moyen de découvrir le court métrage. Tous les moyens sont bons pour mettre en valeur ! Et évidemment quand il y a un long métrage, on repasse le court.

Voir toutes les chroniques sur le 29ème festival européen du film court de Brest

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