Les deux premiers spectacles de la saison à la Maison du théâtre nous rappellent à quel point la Maison du théâtre est une… maison.
La Grenouille au fond du puits croit que le ciel est rond se passe littéralement dans une… maison, celle de M. Brindavoine. On y entre après avoir laissé nos manteaux et nos sacs au vestiaire, ce qui n’est plus si fréquent au théâtre et nous affole un peu (que vais-je faire sans mon portable ?!).
On se rappelle pourtant que le théâtre est un espace autre, et c’est de cela qu’il est d’emblée question dans le spectacle, puisqu’entrés dans un tout petit espace, dans lequel il vaut mieux ne pas être claustrophobe et où on se demande où est la scène, on se retrouve tout à coup, par magie, dans une… maison.
Ce travail de la compagnie Vélo Théâtre se place (explicitement) sous le signe de la poétique de l’espace de Bachelard.
« La maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix. »
Le spectateur est donc invité à entrer dans la maison de M. Brindavoine – qui pourrait être toute maison – à y retrouver le potentiel de rêverie de cet espace intime, de cet espace du souvenir.
Il est invité à y entrer d’abord par la vue, en assistant à sa reconstitution, et à l’émergence des souvenirs, puis physiquement, quand l’un des domestiques de M. Brindavoine lui fait passer la porte de la demeure et monter sur scène.
Pourtant, aucune confusion à cet endroit.
« Sans elle [la maison], l’homme serait un être dispersé. »
Le spectateur n’est pas enjoint à devenir acteur. Il est toujours ce qu’il est et il peut assister à la démonstration des objets merveilleux bricolés par Flop Lefebvre, le bricoluminologue de la compagnie. Il découvre alors un travail sur l’illusion d’optique, sur la révélation d’images cachées, sur la projection, sur la lumière. Bref, il est toujours au théâtre, mais dans le théâtre.
« Car la maison est notre coin du monde. Elle est — on l’a souvent dit — notre premier univers. Elle est vraiment un cosmos. Un cosmos dans toute l’acception du terme. »
La création d’un univers est aussi l’objet du spectacle Simon la Gadouille, de la compagnie Les Lucioles, sur un texte de Rob Evans. Cette fois, on ne passe plus par l’intermédiaire des objets. Tout naît du verbe et de l’imagination. L’optique est tout de même mise en œuvre, avec l’utilisation d’un rétro-projecteur, sorti tout droit de nos anciennes salles de classe.
Car Simon la Gadouille se passe surtout à l’école, à la fin du CM1 puis au CM2. On voit naître puis s’anéantir une amitié originale, entre Simon et Martin, d’abord exclus de la bande, jusqu’à ce que Martin devienne populaire grâce à ses talents de joueur de foot. Et on voit Martin devenu adulte regretter sa lâcheté et retrouver Simon, trente ans plus tard.
Cette fois, le regard est sollicité pour accepter l’illusion, mais celle-ci naît essentiellement de la parole : les deux comédiens jouent à eux seuls six ou sept rôles. Les accessoires sont limités, les décors très peu présents. Le récit va très vite, on entend le narrateur, les personnages, différentes voix. On se laisse emporter dans ce récit – si touchant et si commun. C’est une tout autre expérience du théâtre, qui nous demande aussi d’entrer dans une… maison, par l’intermédiaire du verbe.
Le spectateur ne monte pas sur le plateau, les comédiens viennent à lui, s’installant dans le public. Cette rupture du quatrième mur – un procédé connu – fait de nous les élèves de la classe de Simon. (passage pas forcément nécessaire)
Là où, dans La Grenouille au fond du puits croit que le ciel est rond, le spectateur était projeté sur scène et observait des images, des illusions extérieures à lui, qu’il pouvait intérioriser, le spectacle, dans Simon la Gadouille, se fait en intériorité, dans le grenier de la mémoire, et cette forme de théâtre est une projection mentale, intérieure, générée par le verbe, puis translatée sur l’espace scénique.
Spectacles exigeants et éloignés des processus d’attraction grand public, spectacles qui demandent au spectateur d’entrer dans la maison du théâtre, spectacles qui proposent à chaque spectateur un processus pour faire fonctionner l’illusion théâtrale, spectacles où chaque spectateur est tout de même acteur de sa propre rêverie, La Grenouille au fond du puits croit que le ciel est rond et Simon La Gadouille nous sortent de la mare.
On a intégré, projeté des images, on est entré dans la maison, on est monté au grenier. Quelle sera la prochaine pièce ?