LE SCHPOUNTZ, pagnolade flamande - plutôt POUR
MARGUERITE CASTEL
Le rideau se lève sur une épicerie vieillotte de la Cannebière. La scène se joue dans un adorable théâtre de verdure accoudé au Fort du Dellec, surplombant un bout du monde en rade de Brest. En plein air, ressac breton en guise de grillons pour stimuler notre imagination. Sur les planches, Irénée, un petit commis-épicier se rêvant artiste en haut d’une affiche s’écharpe avec son oncle, commerçant de proximité, terre-à-terre et hâbleur. Prennent part à la chamaille, une tante à la grise mine et un jeune frère novice qui n’a comme seul mérite que celui d’avoir inventé une recette d’anchois (avariés) à la grecque qui fait fureur au village.
Un chaleureux accent flamand rythme ces brèves de comptoir et quolibets familiaux. Exit le pastaga et les cagoles de Marseille ! La Comp. Marius nous arrive d’Anvers Belgique et fait son propre jus du Schpountz, après avoir revisité avec succès plusieurs textes de Marcel Pagnol : Marius, Regain, Fanny et Cesar, Manon des Sources et Jean de Florette.
L’adaptation a sa part de risque, d’autant plus avec une farce burlesque ! Celle-ci peine un peu au démarrage. Le public a beau être installé à proximité de la scène en demi-lune- façon cirque-, il n’entre pas d’emblée dans le jeu. Le texte ronfle, la salle est encore froide… Mais le défilé d’une vive galerie de personnages conjugué à un astucieux dispositif de décors minimalistes vont rythmer assurément l’affaire. Les cinq comédiens s’émancipent au gré de 34 rôles et de 57 tableaux qui se succèdent en deux petites heures de comédie.
Désir de public
A commencer par cette délicieuse troupe de cinéma américaine qui débarque au village et bouleverse la vie d’Irénée sur la base d’un contrat d’acteur bidon. Elément déclencheur. On suit désormais avec bonheur ce « Schpountz » dans ses tribulations artistiques et amoureuses à Paris, à la rencontre de caricatures d’un milieu égocentrique. On savoure cette revanche du naïf sur le monde du show-bizz. La Comp. Marius semble se régaler aussi dans cette fable comique, prétexte à des interprétations multiples, légères, basculant parfois dans le second degré. Les changements de costumes (des plus cheap !) rapides en scène, une ribambelle d’accessoires efficaces -les bottes de Napoléon- nous rapprochent. La complicité va jusqu’à nous tirer des larmes de rire.
Magie simple d’un théâtre populaire et généreux, sur un texte d’entre deux-guerres dépoussiéré : c’est le secret de cette pagnolade flamande servie avec tendresse et enthousiasme. Les artistes de la Comp. Marius affirment leur désir de public jusqu’au bout en lui offrant une rencontre sur le zinc pour que la fête continue. La mécanique a fonctionné à Brest en cinq rendez-vous mêlant des adolescents, des retraités et même quelques pompons rouges de l’école des mousses. On ne rencontre pas tous les jours des comédiens qui vous tendent un verre le regard désireux de mesurer votre plaisir lorsque le rideau est tombé. Cette école du spectateur emprunte beaucoup au théâtre de rue. Au contact.
LE SCHPOUNTZ - Une écrevisse dans le vol-au-vent, ou le théâtre digestif - PLUTÔT CONTRE
FABIEN RIBERY
En 2001 à Nantes, la troupe De Oderneming avait retraduit et joué en français Marius de Pagnol à partir d’une première version flamande. Le spectacle donné au stade Marcel Saupin était savoureux, inventif, neuf dans ses maladresses et sa fraîcheur, porteur d’une intelligence du texte très malicieuse. Eclatait alors ce que certains ont appelé à juste titre l’avant-garde flamande ou anversoise, dont le collectif TG Stan – toujours en excellente activité - était le meilleur représentant, mélangeant fausses improvisations et parfaite maîtrise de textes joués avec un naturel confondant.
En 2014 dans la rade de Brest, dans le superbe fort du Dellec transformé par la magie de quelques planches en théâtre de plein air, se joue un nouvel épisode de l’illustre marseillais, Le Schpountz, mis en scène par deux acteurs ayant pris leur indépendance de la compagnie De Onderneming précédemment citée. Cette fois, le geste artistique n’est plus d’avant-garde, et la fête s’absente. Un acte porteur d’une douce subversion est devenu simple routine, ressemblant bien davantage, nonobstant le talent indéniable des comédiens, à une recette efficace pour séduire le public, plus que pour véritablement le stupéfier, le déplacer intimement.
Le rire est nécessaire, il aide à digérer, et l’on rit assez souvent franchement au Schpountz, qui est une farce, faisant d’un schéma moliéresque – l’inversion des positions – l’occasion d’une grande guignolade, pain bénit pour acteurs cabotins. Le Schpountz est un fada constamment ridiculisé, mais parvenant finalement à devenir la vedette de cinéma à laquelle personne ne croyait: «Un petit idiot qui se prend pour un grand acteur.»
Les changements de costume à vue sont sympathiques, l’accent flamand peut être craquant, les anachronismes rigolos (François Hollande, Gérard Depardieu, Stromae) et les fous rires des acteurs – proche du surjeu sous leur aspect involontaire – très certainement communicatifs.
Théâtre de bons mots, Le Schpountz est certes une pagnolade inscrite au panthéon de notre patrimoine national, mais l’on peut se demander quelle peut être la nécessité de monter cet auteur aujourd’hui dans un spectacle faisant songer parfois aux meilleures heures du théâtre à l’école, et qui nous rappelle parfois étrangement – un certain orgueil national, la méfiance envers les étrangers, un soupçon peut-être d’antisémitisme - l’Etat français. On oublie tout avec Luis Mariano sous le soleil de Mexico?
Nous sommes en 1938, la guerre qui a commencé en Espagne va ravager l’Europe. Pagnol quant à lui bavarde et s’amuse. Dites, chers spectateurs, qu’est-qu’une monteuse? «Celle qui tripote la pellicule».
Bien sûr.
En 1935, dans cette même Provence où tournent en boucle les galéjades du Marseillais, Jean Renoir filme Toni, inventant le néoréalisme à la française, offrant le portrait terriblement touchant du petit peuple italien déraciné. Un autre monde filmique (ou théâtral) est possible.
En 2014, si l’on ne souhaite pas forcément du Gisèle Vienne/ Denis Cooper à chaque nouveau spectacle, on peut néanmoins s’interroger en toute transparence sur la programmation d’un tel théâtre consensuel, faisant écho à ces one-man-show remplissant les salles, nous amusant le soir, mais nous désolant le matin, si, par malheur, nous ouvrons notre radio ou le journal.
Le rire à teneur gentiment régressive est un droit, mais, franchement, ne voyez-vous rien des catastrophes qui ravagent notre monde? Ne sentez-vous pas poindre de nouveau la barbarie? Le théâtre n’est-il pas aussi, surtout, cet espace de questionnement et de réinvention d’une communauté introuvable? Pardon, mais il y a peut-être trop de France moisie chez Pagnol pour que nous puissions y trouver espoir.
Après un siècle d’expérimentations formelles, peut-on se contenter de revenir à Fernandel?
Nous n’avons aucunement la nostalgie du théâtre de papa, quand les valeurs qui le portent ne sont pas d’un universalisme fraternel intransigeant.
Nous avons soif de théâtre, nous en réclamons toujours davantage, et nous ne nous sentons pas suffisamment gâtés.
Nous voulons des créations, du risque, des scandales, des invectives, des cris, de vrais éblouissements, pas seulement le ronron ordinaire.
Nous voulons nous libérer de nous-mêmes, être inquiétés, dérangés, changés, transformés.
Nous voulons le contact des formes qui s’inventent aujourd’hui, classiques parce que neuves, principes d’orientation esthétiques en temps de désarroi complet.
Nous voulons pour Brest un théâtre visionnaire, français, européen, international, pas seulement de bons petits spectacles digestifs ou des vedettes bancable, et nous pensons que nombre de spectateurs n’attendent que cela.
Le Festival d’Automne est à Paris, pourquoi ne pas l’imaginer à Brest?
Georges Banu écrivait il y a peu: «Nous allons donc rédiger «les fragments d’un discours amoureux» du théâtre, sans passer sous silence «les fragments d’un désamour» qui se fait entendre.» (Georges Banu, Amour et désamour du théâtre, Actes Sud, 2013, 173p)
N’oublions pas que Brecht, au nom de l’émancipation du spectateur, affirmait la scission entre «théâtre épique» et «théâtre culinaire.»
Oui, nous voulons que l’art fasse trembler la société, sa culture, et ses loisirs.
Il est agréable de boire un verre avec des comédiens après un spectacle, et de partager la sardine, mais comprenez que nous pouvons souffrir aussi de cette convivialité de surface.