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Samedi 11 octobre, le Craig Taborn Trio se produisait à la salle François de Tournemine de Landivisiau. Le pianiste, notamment connu pour ses collaborations avec les saxophonistes James Carter et Chris Potter, nous dévoilait sa dernière création, accompagné de Thomas Morgan à la basse et Gerald Cleaver à la batterie.

Modeste et discret, c’est avec le sourire que Craig Taborn se met au piano. Les premières notes sont dissonantes, le rythme est absent. Pas de mélodie, pas de tempo, pas d’harmonie accessible à l’oreille : il nous propose une musique complexe, qui semble s’affranchir des codes traditionnels. Intervient ensuite le batteur, dont la finesse des coups témoigne non seulement d’une grande capacité d’écoute, mais aussi d’un travail intense de compréhension musicale avec le pianiste. Un dialogue s’ouvre entre les deux joueurs, de sorte que l’on ne parvient plus à distinguer le leader de l’accompagnateur. Le contrebassiste, qui fait preuve de discrétion, vient soutenir et lier le tout, en parfaite entente avec les deux autres musiciens. Les morceaux qui suivent sont basés sur un jeu d’alternance entre des repères musicaux accessibles au spectateur et leur déconstruction.

Quand bien même un rythme se glisse dans les compositions, il n’est jamais donné en guise d’interlude simplet à mélodie consonante qui consolerait l’auditeur en manque de repères. De belles mélodies, certes, mais toujours dans un esprit de recherche, c’est-à-dire sur des rythmiques atypiques, impaires, en 3/4 ou en 5/4, en conservant l’idée d’un dialogue permanent entre les musiciens.

On aurait pu toutefois s’attendre à davantage de présence de la part du contrebassiste. Légèrement effacé tout au long du concert, il ne se met vraiment en avant qu’à un moment succinct. Dommage, car son jeu, ses rares interventions et ses interactions sont de qualité. Le reste du temps, les notes graves ne se différencient guère les unes des autres, et Thomas Morgan, qui joue sur une contrebasse baroque au diapason inhabituel (cette information est presque certaine, mais reste à confirmer), est sans cesse en train d’ajuster ses notes, donc inévitablement faux dans le médium et l’aigu.

Le batteur, quant à lui, a un son extrêmement clair et travaillé, dû tant à sa frappe précise et nuancée qu’à l’accordage de ses fûts, ses cymbales et ses accessoires. Cherchant sans cesse, il n’hésite pas à jouer mains nues sur sa batterie et même sur ses jambes (avec la complicité de Craig Taborn). Des accessoires simples, mais efficaces, tels qu’une chaîne disposée sur sa cymbale ride, ou un étrange petit carré en carton rempli de grains qui sonne comme une caisse-claire miniature sur sa jambe, lui permet d’explorer le son au maximum et de se faire davantage percussionniste que batteur.

Le travail proposé par le groupe, en parfaite synergie, maintient durant tout le concert sa dynamique initiale et ses dialogues riches en idées, oscillant sans cesse entre rythme et arythmie, consonance et dissonance, accords identifiables et harmonie totalement déconstruite. Ils se connaissent de longue date, et leur entente transparaît dans la musique, les propositions s’imbriquent les unes dans les autres. Chacun se répond et tous se retrouvent dans le son global, autour d’une musique improvisée ou d’un thème écrit.

La volonté de partager une musique nouvelle se faisait agréablement sentir : de grands sourires, deux rappels, une atmosphère détendue, le sentiment d’avoir affaire à des amis qui jouent et non pas à des musiciens sous contrat, sont autant d’éléments qui permettent d’apprécier réellement le concert en plus de la qualité de la musique proposée.

Lorsqu’on écoute une musique qui déconstruit les manières habituelles de jouer, on ne cherche plus l’originalité dans le «out», le solo, ou l’accompagnement. Au contraire, la surprise est amenée par le retour aux codes, la façon d’amener ce retour, et la façon d’en sortir. Autant de changements d’ambiances musicales que le trio paraît tout à fait maîtriser.

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