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CHRONIQUE – « Il n’y a pas deux droites parallèles dans l’univers »  C’est ainsi que Christophe Rocher a présenté Evergreen[1] en préambule du premier concert de l’ensemble Nautilis qui s’est déroulé le 26 novembre 2017 à Gouesnou et dont les rênes ont été confiées pour cette création à Nicolas Pointard.

Avant la musique il a été question d’hommes, d’affaires humaines. On nous dit que les musiciens du collectif ont choisi de manière unanime leur nouveau chef d’orchestre et on les comprend ! Compagnon de longue route de l’ensemble brestois, Nicolas Pointard est un savant composite de l’héritage des bois et celui des villes, de l’ancien et du contemporain. Semblant à l’aise autant dans la musique de Stravinsky que celle des improvisateurs américains (qu’il côtoie au cours des rencontres ARCH ou dans le Third Coast Orchestra), le batteur joue aussi dans les musiques transgenres du rock ou de la pop. Il évolue en homme libre dans le champ jazzistique, c’est-à-dire un monde pluriel, ouvert et en constante formation selon les individus qui le fabriquent et non selon des codes ou des normes imposés. Créé en 2011 par le clarinettiste Christophe Rocher, l’ensemble Nautilis s’est donc choisi en 2016 un être pivot pour explorer de nouvelles pistes de jeu.

Pendant deux ans, le capitaine du vaisseau Evergreen a travaillé une matière centrée sur la thématique des Arbres. Une vision du divers qui s’observe et s’expérimente, lié au sol et aux racines. Matière vivante autour de nous, changeant chaque hiver, chaque printemps. Deux ans donc avec les arbres, pour donner corps à l’individu et au collectif dans la transcription du vivant.

La reproductibilité des formes existe de manière chaotique dans l’univers.

S’il est un batteur aussi doué aux balais qu’aux baguettes et à mains nues, Nicolas Pointard parvient  en compositeur, à transcrire toute la puissance ardente d’une forêt. Dans ses œuvres où se mêlent distorsions et bruits aux grands développements harmoniques, une impression de force naturelle emporte le public, unanime lui aussi.

Il faut dire que trois nouveaux musiciens amènent Nautilis vers  des explorations de timbres et de tessitures très fines : Antonin Rayon au piano, Robin Fincker au saxophone et Matthias Mahler au trombone. L’élasticité des formes, le temps vivant. De l’évanescent à l’inéluctable. Les cadres posés par le compositeur (dont chaque musicien de l’ensemble a dû apprendre toutes les tournures) fonctionnent à la manière de sève circulante. Au milieu de tout, apercevoir le mouvement léger et la couleur singulière d’une branche de Mélèze dans la forêt. Etre attentif à cela, comme à la mélodie des choses

Les parties de chaque morceau s’associent comme des idées ou des images. Les revirements rythmiques, les crescendos et autres contrepoints participent à cette grande mise en perspective. Et Nicolas Pointard, de ses regards appuyés vers tel camarade de jeu ou tel autre qui débute un solo, parvient à nous faire suivre le mouvement général, voire même hocher de la tête en rythme dans une tempête de sons. En cela, Evergreen serait une œuvre qui témoigne de l’action du rejoindre. Comment expliquer ? Comment dire avec ce langage si particulier – le langage musical – ce qui nous lie. Comment rendre compte d’existences parallèles aux nôtres sans dénaturer leur manière d’être au monde, justement ? Le rejoindre, comme la tentative (ici réussie) d’exprimer l’essence d’une forêt en soi. Pas sa seule représentation, mais tout en elle, avec sa part de mystère, de sons inquiétants, de mobilités frêles et hésitantes.

Enfin, il n’y a pas que de grands moments lyriques, non plus. La drôlerie de la jeunesse rôde dans les bois. Les collages ou les tableaux qui se succèdent comme autant de saisons convoquées sont le pendant d’une écriture loufoque où l’on imagine la course poursuite de petits animaux tout droit sortis de dessins animés. Il y a de quoi rire et de quoi frissonner dans la vie racontent les morceaux aux noms pour le moins originaux : Réflexion de surface, Lacrimarcure, Drageonnance, Hibab Building, etc. Prenez des situations sombres, plongez-y vraiment et amusez-vous en, semble finalement nous dire cet Evergreen.  Merci !

Crédits photographiques : Romain Al’l

Plus d’informations sur le site de l’ensemble Nautilis : http://ensemble-nautilis.org/evergreen/

 


[1] Evergreen est la nouvelle création de l’ensemble Nautilis, composé de Fred B. Briet (contrebasse), Philippe Champion (trompette ou buggle), Robin Fincker (saxophone ténor & clarinette), Matthias Mahler (trombone), Nicolas Péoc’h (saxophones soprano & alto), Nicolas Pointard (batterie & composition), Vincent Raude (électronique), Antonin Rayon (piano), Christophe Rocher (clarinettes)

About the Author

Formée aux pratiques de médiation culturelle, Cécile travaille depuis dix ans dans le milieu culturel et associatif (scènes jazz & musiques populaires, labels, café-concert). De Marseille, Paris et du centre Bretagne, elle a enregistré des sons et créé un module radiophonique : Les Instantanés. La musique, ou plutôt la vie, passe par l’écriture : poèmes, chansons, communiqués, éditos. Mais aussi par le faire écrire, à travers l’animation d’ateliers d’écriture et les projets collectifs, dont un nouveau duo avec Pol Jézéquel (guitares & poésie). Aujourd’hui brestoise, elle a rejoint Le Poulailler pour répondre à l’appel de nouvelles plumes. Chroniques, récits d’expérience…

 

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