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Interviewer Volmir Cordeiro à la plage - c’est déguster un temps de poésie infini.


JL : Volmir, comment êtes-vous arrivé à Guissény ? Et pourquoi avez-vous accepté de venir ?

VC : C’est une invitation de Mickaël Phelippeau (ndlr : directeur artistique du festival). J’étais très heureux de pouvoir répondre positivement parce que la question de la transmission et de la pensée collective d’une pratique artistique m’intéresse toujours, notamment lorsqu’il s’agit de travailler avec des inconnus.

Je suis arrivé depuis une semaine. Ca va très bien. Je dors chez Dédé, sa femme, sa fille.

JL : Dans la description de votre projet, ici à Guissény, vous dites vouloir transmettre l’imaginaire évoqué dans votre premier solo, Ciel. Il s’agit de reformuler l’ensemble des attitudes étrangères inexploitées, inaperçues et qui sont pourtant présentes en nous-mêmes ? Comment abordez-vous concrètement avec des amateurs toutes ces questions ?

VC : Ciel, c’est le titre de mon premier solo. Quand Mickaël m’a proposé de venir, je me suis demandé comment m’adresser à ces inconnus et la première idée qui m’est venue a été celle-ci : transposer les enjeux de ma création vers un groupe. Il y avait d’abord l’idée de garder le travail du passé et de le transmettre, le faire vivre dans un autre temps, plutôt que de produire toujours quelque chose de nouveau. J’étais curieux de voir comment ce solo, que j’ai créé dans le cadre de ma formation au CNDC, se transformerait s’il était vécu par un groupe de personnes hétérogènes. Le groupe est constitué de neuf femmes de générations différentes.

Nous avons commencé avec l’idée de reconnaître sa propre image, sa représentation corporelle. Imaginer un miroir face à nous et essayer de redécouvrir son corps. Imaginer ensuite que la salle se remplit de buée et que la vapeur vient troubler cette image. Un enfant passe et dessine de nouveaux contours dans ce miroir. La personne doit alors s’approprier ces nouveaux contours. Nous avons finalisé le dispositif en ayant le corps d’un autre en face de soi, à la place du miroir imaginaire. Mais nous ne rentrons pas dans un jeu d’imitation. À travers l’autre, je redécouvre mon propre corps et je trouble l’image de moi-même pour l’ouvrir à d’autres possibilités.

JL : Selon vous, comment ces personnes reçoivent-elles ces ateliers ?

VC : Le premier jour, je leur ai demandé pourquoi elles avaient choisi mon atelier. Elles m’ont répondu que c’était parce que j’avais prononcé les mots imaginaires et danse collective dans la description. J’ai senti qu’il y avait une attirance assez spontanée vis-à-vis de ce type de pratique. Dans tous les exercices que je propose, je sens qu’il y a une aisance qui leur permet de plonger dans la matière. Ce que je souhaite maintenant, c’est dépasser la partition de Ciel pour que ces femmes proposent elle-mêmes des images.

JL : Vous préparez actuellement une thèse sur les figures de la marginalité dans la danse contemporaine. Je pense à Alain Buffard qui nourrissait son travail notamment par la philosophie et la pensée de Foucault ou Deuleuze sur les questions de la marginalité. Votre approche de la question s’appuie-t-elle également sur une pensée spécifique ?

VC : Oui, je suis très influencé par le travail de certains intellectuels. Pour Ciel, j’ai été très touché par François Jullien, et notamment son livre Un sage est sans idée. Il m’a aidé à concevoir la recherche, la quête artistique comme la possibilité d’une pluralité d’idées, le droit aux extrêmes, sans nécessairement chercher à se concentrer sur une thématique qui empêche la pensée de se développer vers d’autres chemins. En recherche, notamment doctorale, nous sommes supposés avoir un sujet assez circonscrit, une méthodologie assez claire. J’ai apprécié le propos de François Jullien pour sa conception de la rigueur qui passe par une prise en compte de tout ce qui nous arrive lorsque la pensée est mise en route. Il y a une autre référence forte pour moi, c’est Giorgio Agamben et son ouvrage La communauté qui vient. À l’époque où je l’ai découvert, j’étais assez accroché à la figure du quiconque qu’il aborde au début de ce livre.

Je prépare mes ateliers en amont, et je me rends compte dans leur réalisation que je déroute « grave ». Je me laisse porter par l’environnement. Je n’ai pas le choix, je suis dans une sensibilité très éveillée par rapport aux gens qui sont là et à la possibilité de faire communauté. Ensemble, nous somme auteurs d’une situation. Et je suis attaché au fait que le protagonisme souvent rattaché à moi parce que je suis l’artiste intervenant, puisse être déplacé. C’est souvent compliqué, il y a beaucoup d’attentes, comme si l’artiste portait un savoir mystique, surtout lorsqu’il intervient auprès d’amateurs. C’est un phénomène à déjouer et c’est ce qui se passe ici à Guissény où le festival À Domicile vient d’ailleurs troubler le concept d’amateur. Selon moi, ces personnes ont la même implication, le même engagement que des professionnels. C’est très beau. C’est jouissif de travailler ainsi.

JL : Dans votre parcours d’interprète et de chorégraphe, quelles traces ont pu laisser vos collaborations avec Xavier Leroy, ou encore Emmanuelle Huynh? 

VC : Nous travaillons avec Emmanuelle Huynh sur sa prochaine pièce, dont la première présentation aura lieu en octobre. Je pense que ces collaborations seront toujours sources d’influence dans ma construction d’auteur, de par les enjeux abordés, les formes artistiques défendues. Ce qui est sûr, c’est que cela constitue une ressource qui vient nourrir ma recherche. Mais c’est encore difficile pour moi d’élaborer, de définir concrètement ce que je retiens de ces rencontres.

JL : Et Lia Rodrigues ?

VC : C’est une compagnie avec laquelle j’ai travaillé pendant trois ans, grâce à laquelle j’ai également pu me présenter en Europe et adresser ma candidature au CNDC. L’expérience créatrice auprès de Lia étant en elle-même intéressante. Sa façon de concevoir les interférences, la création d’un geste et le moment, le contexte dans lequel cela se produit. Sa compagnie est basée dans une favela et elle nous invite en tant qu’interprète à travailler là-bas huit heures par jour, dans un contexte qui n’a rien à voir avec le quartier d’où l’on vient. J’ai quitté la compagnie depuis quatre ans et très souvent je sens combien cette expérience vit encore en moi, revendique une existence dans le présent.

JL : Avez-vous des projets dans les mois à venir dont vous aimeriez nous parler ?

VC : Un solo qui va sortir à Marseille en septembre, sur lequel j’ai travaillé au laboratoire d’Aubervilliers à Paris lors d’une invitation de Latifa Laâbissi pour un séminaire, en résidence dans un festival à Rio, dans la galerie Anticipation à Paris. C’est un solo que je construis depuis presque deux ans. J’ai décidé qu’il était temps de lui donner un achèvement provisoire ou peut-être abandonner l’idée qu’il était encore à construire.

JL : Les réflexions qui sous-tendent ce solo sont-elles dans la continuité de Ciel ?

VC : Oui. Ce solo s’appelle Ines. C’est une femme qui a du mal à exister, qui essaie à tout prix de rendre son existence connue et visible. Plus elle accède à la célébrité, plus elle est ridiculisée par les systèmes de la communication. Ce que je revendique, c’est toujours ce paradoxe de l’exposition : le fait d’être visible et donc apparent, mais également le fait d’être exposé au danger, au péril des conceptions sociales qui viennent interdire certaines existences ou certains comportements. Le questionnement lié au regard porté sur l’autre est donc toujours présent, et l’interrogation sur le fait que par ce regard nous pouvons parfois faire des assignations identitaires fatales, destructives.

Pour les informations concernant les horaires et questions pratiques du festival, prendre contact avec l’office de tourisme de Guissény (02 98 25 67 99).

Restitutions les 6 et 7 septembre.

Pour en savoir plus sur le festival, lire notre article. Découvrir Sébastien Roux et DD Dorvillier également invités À domicile.

About the Author

Rédactrice et photographe. Enfant, elle a des correspondants un peu partout. Elle écrit des lettres à longueur de journée (même en classe), les envoie parfois - pas toujours. Plus tard, elle est diplômée de sciences-po Bordeaux et d'un MASTER en management du spectacle vivant.