De quelle manière se déroule un bal sous Louis XIV ? De quel répertoire s’accompagne-t-il ? Et qu’est-il à dire de la danse reine du bal, le menuet ? Autant de questions qui ont virevolté sur la scène de l’auditorium de Brest, le 9 novembre, cristallisées autour de leur point fixe, la danseuse et enseignante chercheuse Naïk Raviart.
Fait suffisamment rare pour être notifié, la « belle danse » fut ainsi baptisée par ses contemporains et non, comme il est de coutume, ultérieurement par la critique.
La belle danse, question d’onomastique
D’autres dénominations accompagnaient celle de « belle danse » : « danse noble », « danse grave », « danse sérieuse ». Derrière cette ribambelle de termes, l’esquisse naturelle d’une danse ampoulée, hiératique. Faux-semblant. La belle danse est vive, enjouée et les adjectifs « noble », « grave », « sérieux » sont les aiguillons qui la distinguent d’autres types de danse – petite danse, contre-danse ou celle des registres comique et grotesque.
Étonnamment, cohabitent aux côtés de ces augustes dénominations, celles de « danse simple », de « danse commune » ou de « danse ordinaire ». Second faux-semblant puisqu’aucune notion de hiérarchisation n’est effective. La belle danse est simplement la danse que les gens du bel air ont en commun. Parenthèse baroque – le terme « baroque » fut improprement attribué à cette danse, il y a de cela une cinquantaine d’années, conjointement aux premières tentatives de retranscription de ce répertoire. Pourquoi ce rapprochement ? Uniquement pour offrir à la belle danse le prestige dont jouit la musique qui porte le même nom.
La belle danse, l’inconnue connue
La connaissance de la belle danse est affaire et de traités – parmi les ouvrages français, anglais, espagnols et allemands, citons le Maître à danser de Pierre Rameau paru en 1725 – et de chorégraphies. Pourquoi chorégraphie ? Parce que Raoul-Auger Feuillet créa, en 1700, à la demande de Louis XIV, dont le premier acte en tant que Roi fut la création d’une académie de danse, une écriture de la danse nommée « système Feuillet », art de notifier celle-ci au moyen de caractères, figures, signes démonstratifs et annotations du trajet des danseurs.
Mais le génie inventif de Feuillet ne donne accès qu’à la partie saillante de l’iceberg dans la mesure où la naissance de la belle danse correspond à la naissance du siècle d’or. Précisons, de surcroît, que le premier traité la théorisant fut publié en 1725, autrement dit, une décennie après la mort du Roi Soleil dont le règne coïncide avec l’apogée de cette dernière. Anatomie d’une connaissance : la danse se mène à deux, et l’adjectif « belle » qui la caractérise ne renvoie pas principalement à une notion esthétique puisque s’y adjoignent celles de moralité et de société. Rien de plus naturel que ce qualificatif quand nous savons que les gens du bel air – au bel esprit, au bel usage, au beau langage, à la belle éducation, aux belles manières – exécutaient cette danse.
Une danse de bal
Le Bal, qui que quoi dont où ?
Quiconque n’assiste pas au bal. Nécessité il y a d’y être invité avec ce bémol à la clé : droit de cité n’est point droit de danser. Qui dit droit de danser dit réception d’une injonction. À Versailles, nulle salle n’est spécifiquement réservée au bal. La cour virevolte tantôt dans la galerie des glaces, tantôt chez le Prince de Conti, qu’importe l’exiguïté de ses appartements. Fait invariable : les sièges délimitent l’ovale ou le rectangle de la salle improvisée du bal avec cette constante d’un Roi placé en son sommet. À ses côtés, la reine, les fils et filles de France.
Le règne des branles
Une série de branles ouvre le bal – six au début du règne, quatre seulement à sa fin. Les plus grands compositeurs de la cour les composent, nous ne citerons que Lully. Une autre série le clôt. Seules les personnes désignées pour danser rejoignent l’espace réservé à l’exécution de la danse afin d’effectuer le branle de manière circulaire ou en cortège.
Une fois le roi ayant réalisé les branles, l’assistance regagne sa place afin de l’admirer entamant le cycle des danses ultérieures, accompagné de sa partenaire laquelle, une fois délaissée par le monarque qui rejoint son trône, invitera de son propre chef ou sur recommandation royale, le prochain compagnon de danse. Réminiscences de la Princesse de Clèves et de Nemours. Se succèdent ensuite les couples qui s’illustrent d’abord dans les danses nommées « danses ordinaires ».
Danses ordinaires
La danse ordinaire n’est qu’un canevas qui offre une relative liberté aux danseurs. Libre à eux d’opter pour tel trajet, libre à eux de choisir leurs pas. Louis XIV excellait par exemple dans l’exécution de la courante ordinaire, danse lente à trois temps, simple promenade circulaire de longueur variable. Les danses ordinaires ne relèvent guère de l’invention d’un maître à danser mais d’une tradition ininterrompue.
Lassitude
Une lassitude certaine s’empare de l’assistance après contemplation successive de dizaines de danses ordinaires. En guise d’anecdote, la belle-sœur du Roi, peu friande de danses françaises, quitta un jour le bal. Bourrées ordinaires, passe-pieds ordinaires, menuets ordinaires, parce que fossilisés dans une forme figée, finirent par être délaissés par les danseurs de l’époque.
Danses figurées
Et les danses figurées – menuets, bourrées, passe-pieds – de poursuivre le bal, danses aux pas et parcours décidés par un professionnel qui délivre une composition chaque fois unique, unicité reposant non pas sur l’invention de pas mais sur leur succession chaque fois renouvelée.
Gare aux faux pas
Un bal, ce sont des couples qui tournent à tour de rôle, sous l’œil aiguisé des connaisseurs à l’affût de la fausse note. Et Naïk Raviart de citer le Mercure de France de 1708 : « L’on ne se risque guère de danser dans un lieu si auguste et où l’on est si éclairé sans être persuadé que l’on ne s’exposera pas à la censure de ceux qui ne pardonnent rien ». Saint Simon, toujours selon la conférencière, relate à ce propos la mortification infligée à l’un de ses amis marquis lors du grand bal donné à l’occasion du mariage du duc de Chartres. Invité à l’événement, le malheureux, ayant perdu la cadence, exagéra le port des bras, et les courtisans, rejoints par Louis XIV, de huer le pauvre homme qui ne reparut jamais à la cour.
Le style de la belle danse
Il est indéfinissable et la conférencière de se faire l’écho des témoignages d’époque qui, tous, se rejoignent dans l’idée d’une insuffisance de la parole et d’une nécessité du regard pour l’appréhender. Possibilité, tout de même, de décliner des éléments caractéristiques,
– finesse dans le mouvement et dans le port
– beauté et sobriété des pas
– simplicité
Et le maître mot : le naturel – par opposition à l’artifice. L’apprentissage de la belle danse est certes nécessaire, mais sa maîtrise ne saurait faire l’économie de la simple observation des danseurs aguerris. C’est que faire montre d’une technique est du dernier mauvais goût et s’oppose à l’idéal du siècle, celui de l’honnête homme lequel, selon les moralistes, ne doit en rien briller.
Et Madame de Sévigné de conclure, dans une lettre datée du 9 septembre 1675, adressée à sa fille : « Il faut être, si l’on veut paraître. » En d’autres termes, et paradoxalement, pour danser dans le lieu d’apparat qu’est la cour, travaillez votre naturel.