« Toute couleur […], pour être vue, doit recevoir de l'arrière une lumière. C'est pourquoi les couleurs paraissent d'autant plus belles que les fonds placés en dessous sont plus clairs et plus brillants. » Goethe
La peinture de Chagall est constituée d’éléments graphiques, de traits et, plastiques, de surfaces de couleurs, que l'on pourrait rapprocher, de manière assez évidente, de la technique du vitrail. Cette approche est d'ailleurs présente dans son œuvre peinte comme dans ses illustrations bibliques. Il ira d'ailleurs jusqu'à s'adonner à cet art, visible dans les vitraux de la cathédrale de Reims, de l'église de Saint-Étienne de Mayence ou encore dans ceux du bâtiment des Nations-Unies à New-York.
Le vitrail condense lumière, transparence et couleur, le tout entouré d'un réseau de plomb, d'un réseau de lignes plus ou moins épaisses, plus ou moins rigoureuses, principes que l'on peut retrouver dans les toiles de Chagall. Dans nombre de ses tableaux, une lumière semble émerger, comme si une source lumineuse traversait la toile, installant une profondeur et donnant une intense luminosité aux couleurs. Sa manière de « poser » la couleur, souvent par aplats, relève d'un travail instinctif, expressif. Le trait, souvent noir, affirme aussi cette forte présence du dessin qui se développe dans ses compositions.
Chagall s'intéresse au pouvoir expressif de la couleur faisant écho à des courants, mouvements qui ont pu influencer son travail de peintre, tels que le fauvisme ou encore le cubisme. Cependant, Chagall ne cherche pas à appartenir à ces deux mouvements artistiques, il demeure un peintre singulier, volontairement indépendant. Chagall porte en lui la liberté, liberté fondatrice de sa peinture de s'affranchir de cet interdit de représenter la figure humaine dans la religion juive hassidique qui est la sienne, bien que de cette dernière, il garde le chant et la danse, messages de liberté. Finalement, cette liberté d'expression et de vie, il l'a toujours transportée avec lui.
Cette volonté de non appartenance à un mouvement traduit également cette grande liberté de Chagall. Ayant traversé le XXe siècle et côtoyé les peintres d'avant-gardes, il impose sa vision picturale retenant du cubisme une déconstruction de l’objet, la construction du volume par la surface colorée ; du fauvisme la couleur pure ; du surréalisme la dimension onirique.
Dans les œuvres fauves, il y a cette volonté de simplification des formes et des perspectives ainsi qu'un usage libre de la couleur, c'est -à-dire l'utilisation de la couleur pure associée à la vigueur du coup de pinceau. Même si les peintres fauves sont fidèles aux genres traditionnels – nature morte, portrait, paysage – ils tendent à abandonner le relief, les ombres, recentrant leur intérêt pour la construction du tableau par la couleur, ainsi que pour la technique du vitrail. De ce mouvement artistique, Chagall retient la palette de couleurs pures, instinctives ainsi que les traductions polychromes de ciels rouges, de visages bleus, de chevaux verts...
Dans Le cirque bleu, datant de 1950, et peint pour le théâtre londonien du Watergate, qui se voulait à l’époque un lieu expérimental pour tous les arts, le thème du cirque est présent, souvenir d’enfance, associé à l'idée de liberté, de nomadisme, d'itinérance, de marginalité... Il est un des sujets de prédilection de Chagall. Les éléments du tableau sont empruntés au monde du cirque, mais déformés. Le peintre transforme la réalité pour proposer un monde étonnant, à la frontière du réel et de l’imaginaire, où tout est en mouvement, où tout flotte. Des figures y sont représentées dans des postures singulières : un poisson tient un bouquet, un coq frappe un tambour, une lune joue du violon, un cheval vert sourit. Par une lecture plus aiguisée, on perçoit les détails, plus ou moins visibles : un joueur de trompette, la tête en bas, à moitié caché derrière le soleil ; le profil d’un homme, dans le cou du cheval, qui pourrait être un autoportrait de l’artiste… Chagall raconte ici un univers poétique, onirique dont le bleu et ses variations envahissant la toile, semblant lui faire écho.
Le cirque bleu se compose de manière dynamique, renforcée par les couleurs déposées en aplats au pinceau et au couteau, saturées, chaudes et froides, combinées de telle manière à rendre compte d'une ambiance à la fois lumineuse et sombre. Les formes sont cernées d’un trait noir, le dessin, point de départ de la composition. Une trapéziste se détache sur une bande bleu clair qui traverse le tableau en diagonale et le structure. La figure jaillissante est comme installée dans un rayon de lumière. La composition des autres éléments du tableau s'organise de manière circulaire autour de la courbe souple que forme ce corps féminin suspendu dans les airs. Notre regard converge vers la rencontre fortuite et poétique de l’acrobate et du cheval vert.
L'œuvre de Chagall est riche de compositions complexes, mises en valeur par l'intensité des rencontres colorées. Elle est un espace libre où se jouent les notions d'apparition et d'effacement, de basculement, de renversement, de flottement des éléments, des figures humaines ou animales ou encore hybrides. C'est une peinture à la fois poétique et expressive.
L’expressivité émerge du choix des couleurs : rouge, jaune, bleu, un peu de vert, du violet... et de leur spatialité à l'intérieur de la toile, de leurs contrastes plus ou moins importants entre tons et saturations. D'une certaine manière, Chagall pense en couleur et c'est l'assemblage des couleurs entre elles, leur répartition dans la toile et la forte présence du trait en tant que dessin qui constitue son langage plastique et coloré singulier.