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Il est par nature furtif, imprévisible et rare. Singuliers sont ceux qui ont pu saisir l'éclat émeraude du Rayon Vert, un phénomène qui, comme l'écrit Jules Verne dans son ouvrage du même nom, « se produit à l'instant précis où l'astre radieux lance son dernier rayon, si le ciel, dégagé de brumes, est alors d'une pureté parfaite ». Ainsi, l'éclair qui viendra « frapper la rétine de votre œil, ce sera un rayon ''vert'' mais d'un vert merveilleux, d'un vert qu'aucun peintre ne peut obtenir sur sa palette, d'un vert dont la nature, ni dans sa teinte si variée des végétaux, ni dans la couleur des mers les plus limpides, n'a jamais reproduit la nuance ». Pourtant ce prodige fugace dont le romantisme a inspiré le réalisateur Eric Rohmer ou le plasticien Marcel Duchamp, a régulièrement illuminé la rue de la République en mai, offrant à la contemplation un phénomène devenu pour quelques semaines prédictible, durable et quotidien.

 

crédit photo: Simon Rulquin

crédit photo: Simon Rulquin

 

« Une forme d'activité radioactive intense et intrigante »

Du 10 au 27 mai, chaque soir à la lumière tombante du crépuscule, pendant trente minutes aux alentours de 22 heures, la vitrine de l'atelier désaffecté du 16 rue de la République s'embrasait d'un vert Ouraline, fluo et lumineux, habillant alors la rue d'un halo de jade. Une manifestation insolite pour qui passait par hasard devant le bâtiment d'ordinaire terne et quasi invisible devenu laboratoire. Sur la porte vitrée, un écriteau venait renseigner les plus téméraires : « À la tombée de la nuit, quand les dernières traces du soleil s'effaceront de la pointe du continent, l'espace entrera progressivement en mutation laissant transparaître par la vitrine une forme d'activité radioactive intense et intrigante », pouvait-on lire sous le titre de l’œuvre, Solar Radium.

L'installation ne se laisse « appréhender que de l'extérieur laissant ainsi l'imagination s'inquiéter du contenu rendu volontairement trouble par les artistes » Simon Rulquin, installé à Brest et diplômé de l'école des Beaux-Arts de Bordeaux et Irwin Marchal, plasticien fondateur du lieu d'exposition bordelais Silicone.

 

crédit photo: Simon Rulquin

 

« Un feu dont la puissance nous dépasse »

Jouant à la fois sur « l'évocation d'un rayon solaire devenu mythique par sa rareté » et « l'étrange rapprochement opéré par l'histoire entre cette couleur et la radioactivité » les deux trentenaires proposent « une connexion métaphorique entre un phénomène naturel atmosphérique et la maîtrise aléatoire et polémique d'un feu dont la puissance nous dépasse ».

« C'était notre première collaboration », explique Simon Rulquin qui partage avec Irwin Marchal « un même intérêt pour les sciences, l'astronomie, la science-fiction et l'architecture », d'où cette pièce autonome nouant un « lien entre un phénomène naturel et la lumière ». Comme pour le Rayon Vert, « il fallait être là au bon moment pour avoir la chance de le voir car cette partie de la rue n'est pas très passante », observe l'artiste travaillant entre Bordeaux, Brest et Shanghai.

Et à l'instar du dernier rayon du soleil, il fallait être au bon endroit au bon moment pour croiser la moitié brestoise du projet car après trois ans à scruter les couchers de soleil depuis sa fenêtre plein ouest surplombant Brest et sa rade, Simon Rulquin a quitté la ville cet été pour rejoindre d'autres horizons.

Jules Verne, extraits de l'ouvrage Le Rayon Vert

« Avez-vous quelquefois observé le soleil qui se couche sur un horizon de mer ? Oui ! Sans doute. L'avez-vous suivi jusqu'au moment où, la partie supérieure de son disque effleurant la ligne d'eau, il va disparaître ? C'est très probable. Mais avez-vous remarqué le phénomène qui se produit à l'instant précis où l'astre radieux lance son dernier rayon, si le ciel, dégagé de brumes, est alors d'une pureté parfaite? Non ! Peut-être. Et bien, la première fois que vous trouverez l'occasion – elle se présente très rarement – de faire cette observation, ce ne sera pas, comme on pourrait le croire, un rayon rouge qui viendra frapper la rétine de votre œil, ce sera un rayon « vert » mais d'un vert merveilleux, d'un vert qu'aucun peintre ne peut obtenir sur sa palette, d'un vert dont la nature, ni dans sa teinte si variée des végétaux, ni dans la couleur des mers les plus limpides, n'a jamais reproduit la nuance ! S'il y a du vert dans le Paradis, ce ne peut être que ce vert-là, qui est, sans doute, le vrai vert de l'Espérance ! »

« C'est que ce rayon a pour vertu de faire que celui qui l'a vu ne peut plus se tromper dans les choses de sentiment ; c'est que son apparition détruit illusions et mensonges ; c'est que celui qui a été assez heureux pour l'apercevoir une fois, voit clair dans son cœur et dans celui des autres. »

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