By

Invité par Penn-Ar-Jazz, le quintet de Papanosh augmenté de Roy Nathanson et de Fidel Fourneyron, présentait son deuxième opus après Your Beautiful Mother, sur la scène du Vauban, le 3 février dernier.

Drôle de nom pour un groupe, drôle de nom pour un disque. Ca sent aussi bon le folklore d'Europe centrale, la goulash et le babka, que le jazz new-yorkais autour d'un bourbon après un diner. Et l'album tient ces promesses, dans un style pétillant, débridé et festif. Papanosh se réapproprie non seulement le répertoire de Mingus, contrebassiste new-yorkais aussi génial que caractériel, mais également l'esprit des workshops dont il est le promoteur. Un travail collégial, fait de collages, de contre-pieds, de changement de cap - une exploration libre d'un champ musical qui ratisse large.

C'est peu dire que ¡Oh Yeah Oh! surprend. Il emporte plutôt tout le public sur son passage, sans jamais le laisser souffler. Les thèmes s'enchainent et ne se ressemblent pas, on passe d'un jazz léger et alerte à un blues root plus lourd, endiablé par un trinôme batterie-contrebasse-piano au sommet de l'efficacité. Dès qu'un système s'est installé, il est aussitôt brisé par un break qui nous emmène ailleurs, vers du rock, vers un solo de contrebasse qui vire au classique, vers un thème léger de la ligne de soufflants. L'album charrie également une bonne dose d'émotions particulièrement fortes, lorsque Roy Nathanson, qui a rejoint avec Fidel Fourneyron le quintet de départ, se met à slamer ou à saxophoner sur le thème de The Clown ou de Canon.

Après le concert du Vauban, je rencontre Raphaël Quenehen et Thibaut Cellier autour d'une table. Roy Nathanson est là aussi, il écoute d'un air distrait mais ne l'est pas. Tout au long de la conversation, il acquiesse doucement, en sirotant un bourbon.

Avant tout, parlez-nous du plaisir!

C’est le cœur du groupe, c’est la seule chose qui importe ! Le plaisir est de l’ordre du plongeon vécu comme une expérience vitale. C’est l’endroit où je peux plonger sans réfléchir, et c’est donc indissociable de la confiance. Papanosh a dix ans, mais on se connaît depuis vingt ans, on a grandi ensemble, on s’est faits ensemble, et on se fait confiance, tout en se poussant mutuellement vers la limite. On se met en danger en prenant des risques ensemble, tout en sachant que si l’un de nous saute, ceux d’à côté vont prendre le relai. Cela nous permet de réaliser un vrai travail sur l’improvisation, même s’il ne s’agit pas non plus de musique improvisée. Sur un morceau donné, nous savons que nous pouvons partir et dériver vers d’autres choses radicalement différentes, librement. La manière de parler sur scène est du même ordre: on flirte avec la grossièreté, mais on tient à notre simplicité. Dès le début, en quintet, on esthétisait beaucoup, et c’est devenu notre quotidien.

Passer à sept a été une énorme contrainte pour nous: cela rend les choses beaucoup plus formelles, il y a plus de matière écrite. Le fait que le public ressente notre liberté et notre plaisir signifie que nous nous sommes appropriés notre répertoire, et c’est bon signe.

Passons à Mingus et à votre nouvel album. Quelle a été votre démarche?

En quintet, lorsqu’on jouait en concert, on jouait un ou deux Mingus, comme une matière brute: en réalité, on jouait avec un ou deux Mingus. Avant d’aller à Brooklyn rencontrer Roy Nathanson, on a fait deux grosses séries de répétitions, puis quelques sessions avec Fidel [Fidel Fourneyron, tromboniste], en Normandie. Nous avons travaillé une trentaine de morceaux, choisis parmi ce que chacun aimait de Mingus, sous forme d’une recherche ouverte, en attendant la réception de Roy. On lui a envoyé des répétitions, mais en réalité, tout s’est fait à Brooklyn: nous sommes arrivés chez lui, dans sa cave, et on s’est mis à jouer. Et ce n’était pas une session d’improvisation ! Nous avons amené nos idées sur les morceaux, et on a travaillé sur cette matière première. Lui nous donnait des idées, il orientait la musique, se plongeait complètement dans le projet, écrivait des textes sur ce qui l’inspirait. Ça a fait pas mal d’allers-retours. La rencontre avec Roy a été fabuleuse: il nous a accueillis comme un vieil oncle américain, et il y a eu une connivence tout de suite. Il n’a aucune gêne, aucun a priori. Il aime le texte, il aime la chanson, le jazz, le blues ainsi que des choses beaucoup plus rock. C’est le Woody Allen de la jazz music, une sorte de névrosé qui assume parfaitement son propos, qui sait trouver les chemins, et se plonge dedans. On a plongé avec lui.

Votre manière de travailler avant et même après votre rencontre avec Roy était proche des ateliers « workshop » de Mingus?

c’est pour cela qu’on se sentait aussi proche de Mingus, en réalité. A force de jouer ces morceaux, on en arrivait à la corde: des bouts de textures, de rythmique. Et alors que ce travail d’épure du propos avançait, nous avons réalisé, un peu malgré nous, que nous avions plus de mal à nous réapproprier ses grands standards que l’esprit du collage qui l’animait, et qu’on retrouve fortement dans les fables of Faubus, par exemple. Ses ruptures rythmiques, son aspect très blues, très root même, tout ceci nous parlait, dans la mesure où c’était la direction vers laquelle on allait naturellement avec Papanosh. Finalement, nous nous sommes essentiellement retrouvés avec des morceaux blues et assez méconnus: des suites, comme Los Mariachis, ou des morceaux dont les références nous emmenaient ailleurs. Cela explique l’introduction de musique mexicaine que j’ai rapporté dans Peggy’s blue skylight, l’arrangement de Thibaud sur Los Mariachis, ou la démarche de Sébastien qui a pris Canon comme une chanson. Nous n’avons pas trahi notre esprit, nous avons toujours travaillé en collectif. Pas un seul morceau n’est joué tel quel ; on le pratique, jusqu’à ce qu’il prenne la forme qui est la nôtre. Et bien sûr, chacun d’entre nous a une image de Papanosh, de Mingus, du morceau qu’on a entre les mains. On a tous été obligés de s’arracher à soi-même, d’accepter que les autres puissent ne pas avoir le même point de vue, pour trouver l’endroit où on se retrouve. On s’est engueulés plusieurs fois, évidemment.

Comment vous situez-vous dans le paysage musical?

Papanosh, c’est plusieurs réalités: nous avons enregistré un tout premier album, en sextet, qui nous a d’ailleurs fait craindre de rejouer à sept. Six, c’est trois duos: un duo rythmique, un duo soufflant, et le couple accordéon-violon. C’était très beau, c’était déjà Papanosh, mais avec une autre musique. Notre nom vient des folklores imaginaires, des musiques de l’Est. C’est en quelque sorte une musique du monde, dans la lignée de Louis Sclavis ou des musiciens de l’’ARFI (Association à la recherche d’un folklore imaginaire, à Lyon). On y ajoute notre patte, mâtinée du New-York de John Zorn, notamment. Cette musique new-yorkaise nous a amenés vers Roy, ainsi que la manière qu’ont eue les free-jazz men français comme Bernard Lubat de s’approprier la radical jewish culture. On est influencés par ce mélange, cette autonomisation d’un propos musical qui n’est pas américain, mais qui s’enracine dans des cultures qui s’entrechoquent. C’est d’actualité, le fait de ne pas lisser les choses.

IMG_7162 IMG_7161

Qu’y a t-il dans vos cartons?

Nous allons rester sur le format du septet au moins un an encore, même si un album en quintet devrait sortir en avril. Nous avons aussi besoin d’avoir notre répertoire, notre écriture propre. Cela ne sera pas forcément différent, d’ailleurs, puisque l’esprit de Papanosh reste le même. Pour ¡Oh Yeah Oh ! on a fait du Papanosh sur des morceaux de Mingus. Mais on apprend également beaucoup de choses par tradition orale. Ce qui est écrit sur les partitions, personne ne le joue.

Et votre expérience américaine?

On a fait un bal ensemble, avec nos propres morceaux. En le réécoutant le lendemain, on s’est dit immédiatement qu’il fallait qu’on fasse un cabaret, qu’on développe ce côté narratif, qu’on raconte des histoires. Quelque chose de très cinématographique, théâtral même, parce que c’est cela qui nous réunit. Ce côté conteur de Roy nous fascine, et l’idée de travailler sur des textes, des mots, nous dynamise. On va faire un « bal organique », qui passe d’un style à l’autre, qui explore tous les registres. Ce genre de projet nous anime, c’est un projet de vie en soi.

¡Oh Yeah Ho! de Papanosh, Roy Nathanson & Fidel Fourneyron chez Yellowbird / Harmonia mundi

Crédit photos : Manuel Apprioual

About the Author

Elevé dans une ambiance sonore éclectique, musicien dans l’âme plus que dans les doigts, Matthieu apprécie les expériences nouvelles autant qu’une symphonie de Chostakovitch ou une gavotte. Son approche est souvent un peu décalée, parfois technique, et s’ancre librement dans le ressenti.

 

Leave a Reply