Blind: voyage sonore autour de soi

 •  0

By

Accepter l'expérience sensorielle, les yeux bandés, autour d'une cornemuse, d'un saxophone, d'une contrebasse, d'une batterie et de percussions, c'est faire une rencontre inédite avec les sons. Un abandon savoureux.

"La musique n'a pas besoin des yeux, parfois, ils sont même un obstacle". Cette vérité m'est allée droit au coeur, tant j'aime fermer les yeux pour que mon écoute de la musique rencontre le plaisir. Alors j'ai foncé lorsque cette expérience sensorielle s'est présentée, à l'initiative d'Erwan Keravec, musicien artiste associé au Quartz qui "dépoussière" la cornemuse avec une audace contemporaine et beaucoup de virtuosité. En allant découvrir Blind, je n'allais pas à un concert mais à une rencontre inédite avec les sons.

Dès la porte de la salle, les musiciens distribuent au public un bandeau qui masque les yeux. Je le mets volontiers pour ne plus rien voir, accepter ce bras qui m'invite à me guider durant quelques pas et à m'installer "à l'aveugle" dans un fauteuil confortable. Prête à décoller, totalement désorientée dans l'espace mais en pleine confiance. Parée pour un voyage solitaire: même si je ne suis pas seule en situation d'écoute, je ne vois personne, ni public, ni musicien, ni instrument!

Les premiers sons arrivent et me font redécouvrir le lointain, les sons proches me semblent plus proches, certains tournent autour de moi comme pour me taquiner. L'oreille attentive, je m'amuse à nommer les instruments que j'entends, sans me soucier d'une cohérence. La cornemuse écossaise d'Erwan Keravec dialogue avec la contrebasse d'Hélène Labarrière, la batterie et les percussions de Philippe Floch avec le saxophone de Raphaël Quenehen.

J'ai l'impression que les musiciens courent, passent devant, derrière et autour de moi dans un tourbillon sonore très plaisant. Cette chorégraphie sonore est menée par Kenan Trévien sur une console électro, sans qu'on ne le sache. Les haut-parleurs dissimulés dans l'appui de ma tête font leur effet. Silences, dissonances, accélérations... Les musiciens improvisent. Ça y est, je m'évade. J'imagine une errance heureuse sur les dunes d'un désert mais je ne sais quelle sonorité m'y convie. La trompette à anche peut-être? Les percussions m'entraînent vers une cavalcade et d'autres mirages. Les saxophones me ramènent à des sensations plus urbaines et contemporaines; je pense à Stephan Eicher et à son premier groupe Grauzone.

D'imprévisibles plages musicales se succèdent dans mon imaginaire, m'éloignant d'une réalité concrète à différentes reprises. Un souffle d'air caresse mon visage, mon fauteuil bouge au gré d'amusantes vibrations, les sons virevoltent entre mes oreilles. Je perds totalement la notion du temps à présent. Cinquante minutes se seraient passées ainsi pourtant! Des petites voix me chuchotent à l'oreille de revenir dans ce monde et d'enlever mon bandeau. Je me frotte les yeux pour accepter cette lumière sur l'installation: les auditeurs regardent tous hébétés là où ils sont. Les musiciens sourient, ravis de nous avoir pris au dépourvu et émus. C'est rare de pouvoir s'abandonner ainsi à des plaisirs sonores dissonants et en mouvement. C'est comme un voyage sonore autour de soi.

About the Author

Journaliste freelance, Marguerite écrit dans le Poulailler par envie de prolonger les émotions d’un spectacle, d’un concert, d’une expo ou de ses rencontres avec les artistes. Elle aime observer les aventures de la création et recueillir les confidences de ceux qui les portent avec engagement. Le spectacle vivant est un des derniers endroits où l’on partage une expérience collective.

 

Leave a Reply