Tests en laboratoires… théâtraux

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Dans le Paris-Brest, mon voisin de compartiment, qui tient une pochette de pharmacien, me lance des regards étrangement complices. Je mets un peu de temps à comprendre qu’il se méprend sur l’ouvrage que je suis en train de lire, Les Laboratoires. Je le soulève donc un peu (un peu seulement, car il pèse six cents pages) pour dévoiler le sous-titre, Une autre histoire du théâtre, et lui révéler dans quel genre de laboratoires je vais passer le temps du trajet.

Que cherche-t-on donc dans ces laboratoires théâtraux ? Et surtout, en ces temps de quête de rentabilité, qu’y produit-on ? C’est à cette question, entre autres, que répond le travail de Jean-Manuel Warnet, maître de conférences en Études Théâtrales à l’université de Bretagne Occidentale, mais aussi membre du collectif d’artistes Le Maquis et metteur en scène.

La réponse va peut-être décevoir les adeptes de la culture du résultat, puisque c’est précisément contre elle que se bat la culture du laboratoire. Dans un laboratoire de théâtre, on ne mise pas sur la quantité de pièces produites, mais sur la qualité du travail artistique. On ne mise pas sur le produit fini, le spectacle à présenter au public, mais sur le processus de création.

Pour ce faire, les artistes se concentrent – pendant un temps du moins – sur un travail coupé de la logique de réalisation, pour s’exercer en atelier, atelier qui prend parfois l’allure d’un monastère. Ils choisissent de s’accorder une temporalité spécifique, celle de la recherche, de la quête, dans un espace spécifique, pour progresser individuellement et collectivement, et revenir à la scène enrichis de cette expérience.

Le terme d’expérience est à prendre au sens d’expérience de vie, plutôt que scientifique, puisque les exercices visent à essayer de nouvelles pratiques, et non à apprendre – dans la majorité, les metteurs en scène qui ont travaillé en laboratoire n’avaient pas pour objectif de fonder une école de théâtre – ni à préparer un spectacle donné – il ne s’agissait pas d’une forme originale de troupe.

En revanche, il était question de constituer une communauté, où la place du maître – quand il n’avait pas franchement l’envergure d’un gourou – et ses relations avec ses comédiens / disciples, étaient fondatrices du travail.

Mais pourquoi le théâtre, qui est un art politique par essence – puisqu’une communauté d’artistes s’adresse à une communauté de spectateurs – a-t-il eu besoin de se couper ainsi d’un de ses fondements principaux, le public, et de se retirer dans une sphère quasi privée ?

Jean-Manuel Warnet le montre bien : à l’époque où sont nés les laboratoires de théâtre, à l’époque de Stanislavski, le théâtre vivait une crise, une crise du sens, une crise du jeu, de la créativité. Le laboratoire s’est donc imposé comme espace de récréation, de re-création. Comme espace d’expérience, d’expériences, y compris d’expériences ratées, restaurant par là l’indispensable droit à l’erreur. Comme espace du ralentissement, à une époque où on ne réclamait pas encore le slow food et le slow reading, mais où l’accélération de la modernité en fatiguait déjà certains. L’attention s’est donc déplacée du théâtre comme lieu de mondanité au théâtre comme lieu d’art et de poésie, d’un répertoire galvaudé à un répertoire renouvelé, d’une exigence de satisfaction à une volonté de resacralisation.

On le comprend, l’émergence et le développement de ces laboratoires ont profondément marqué l’histoire du théâtre, remis du souffle sur scène, révolutionné l’approche des textes et de la création – le tout avec des contraintes financières (si on ne joue pas, il faut bien manger !) et politiques, d’ordre parfois tragique, comme ce fut le cas pour Meyerhold, exécuté par la Terreur stalinienne en 1940.

L’histoire donne d’ailleurs son fil directeur à l’ouvrage, qui présente successivement les grands fondateurs de laboratoire : Stanislavski, et ceux qui répandent son idée géniale – notamment Vakhtangov, Tchekhov et Boleslavski. Puis Meyerhold, Craig et Copeau. Et enfin Grotowski, Brook et Barba.

Le concept de laboratoires traverse le XXe siècle et circule sur plusieurs continents. Il met en rapport de nombreux hommes de théâtre, écrivains et intellectuels.

En effet, l’histoire de chacun de ces laboratoires est singulière, mais elle dialogue aussi avec les autres (ce que ne font pas les laboratoires pharmaceutiques !), se place dans une tradition, que parfois, elle déplace. Jean-Manuel Warnet raconte donc chacune de ces aventures, en montre les spécificités, donne un aperçu du travail effectué, du répertoire de prédilection, illustre le tout de soixante-cinq images et photographies. Il ancre ces voyages dans leur dimension historique, économique, mais surtout humaine. Car ce que visent ces démarches de recherche, c’est l’homme.

Ainsi, quand on est éducateur, parent ou enseignant (ce que l’on est tous plus ou moins, ces termes étant à prendre au sens très large), on ne peut pas s’empêcher de revoir un peu sa manière de faire. De réévaluer la nécessité que l’on s’impose, à soi-même et aux autres, d’obtenir des résultats, et on remet l’accent sur la réflexion et la recherche. On retrouve la fécondité de l’erreur et du temps passé à mijoter un projet. On se demande s’il faut toujours être efficace, même quand on se prépare un sandwich. On se rappelle qu’autrui n’est pas toujours un concurrent ou un client exigeant, mais aussi un partenaire de jeu.

Jean-Manuel Warnet présentera son ouvrage à Dialogues, le mardi 23 septembre, à 18 heures.

About the Author

Notre agrégée de lettres passe en revue tous les articles, les relit, les corrige. Elle écrit pour différentes revues des articles de recherche en littérature et sciences humaines et s’appuie également sur ses multiples casquettes pour développer les partenariats du Poulailler, en russe, en français, en italien… Natalia pratique le théâtre amateur et bavarde à longueur de journée (en russe, en français, en italien…).

 

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