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Le pont Albert Louppe, plus connu sous le nom de pont de Plougastel, n’a pas la même légèreté que son jeune voisin, le pont de l’Iroise, suspendu au-dessus de l’Elorn par des câbles aussi métalliques qu’aériens.

Pourtant, c’est sur le pont Albert Louppe que les participants au Pic-Nic on the Bridge, dernier de la saison des Pique-Niques Kerhorres organisés par le Fourneau, ont pu vivre deux grands moments de poésie.

La compagnie Tango sumo présentait sa dernière création, Around (sur une chorégraphie d’Olivier Germser et une musique composée par Romain Dubois). Elle a déjà beaucoup tourné, et l’on sait en arrivant que cette pièce pour huit danseurs est un travail choral et que la recherche esthétique concerne la transe. On accepte de se laisser embarquer. Assis par terre, on est envahi par les vibrations des basses et des percussions, et on comprend confusément pourquoi ce travail ne se regarde pas en salle, le postérieur enfoncé dans un fauteuil de velours. Comme on voulait vraiment être là, on est au premier rang, près des ampli, et on en vient à résonner nous-mêmes, tout entiers.

Très vite aussi, c’est au tour de l’œil de se laisser envahir : les huit danseurs ne forment qu’un corps, qui se déplace dans une énergie à la fois contenue et entière. Ce corps évoque la venue à la vie, jouant du recroquevillement et de la recherche d’extension. Les basses nous rappellent le cœur maternel et ses accélérations, quand on essayait de s’extraire de là. Les danseurs poussent le ciel avec leur dos, avec leur regard, et on sent la matérialité de l’air, qui devient leur point d’appui pour prendre leur essor.

Huit danseurs, un mouvement.

La Corde et on, spectacle de la compagnie Hydragon, travaille aussi avec l’air, et cette fois, on n’est plus dans l’envol, mais dans la suspension. Le moment de grâce du spectacle réside dans le travail à la corde de Valentin Bellot, délicatement accompagné par Gus à l’accordéon – un instrument magnifique! On ne ressent aucune tension, ni dans la corde, ni dans les membres de l’artiste. L’homme défie les lois de la physique, on ne se demande même pas «mais comment fait-il?» tant on est porté par sa finesse. Peut-être est-il suspendu aux notes de musique.

Le saisissement est d’autant plus grand que tout le processus qui mène là-haut nous a fait rire : les deux hommes sont arrivés équipés de gros sacs, en chantant ; en chantant, ils ont installé la structure de carbone pour la corde ; ils ont même essayé de nous faire croire que ce serait Gus qui y monterait. On se rappelle alors que le clown est un personnage aérien. Peut-être est-il suspendu aux éclats de rire.

Le regard du spectateur doit bien finir par redescendre sur terre. On s’entend alors rappeler une saine vérité : ce que présentent les artistes est un travail. N’oublions pas que le régime des intermittents du spectacle, et par conséquent la culture, sont en danger.

About the Author

Notre agrégée de lettres passe en revue tous les articles, les relit, les corrige. Elle écrit pour différentes revues des articles de recherche en littérature et sciences humaines et s’appuie également sur ses multiples casquettes pour développer les partenariats du Poulailler, en russe, en français, en italien… Natalia pratique le théâtre amateur et bavarde à longueur de journée (en russe, en français, en italien…).

 

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