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Samedi 7 octobre, 17 heures: une forêt d’instruments jonche la scène de l’auditorium de Brest. Sous les yeux des curieux se dévoilent neuf sortes de violons, un clavecin et des archets posés à même le sol. Sous ceux des amateurs éclairés, violoncelles, violons du XVIIe siècle, basses et ténors de violons, violes de gambe, instruments «a la bastarda».

Au cœur de cette forêt, un trio: le claveciniste Bertrand Cuiller, le gambiste Guido Balestracci et, violoncelliste et orchestrateur à la fois de cette plongée offerte dans les domaines des histoires musicale et organologique, Bruno Cocset. Plus qu’un trio, un quatuor. Et de révéler le nom du concepteur de ladite forêt, le luthier et facteur Charles Riché, véritable corde sympathique des Basses Réunies. Parole est donnée au Maetro Cocset qui nous confie l’histoire de son intrument, Cello Stories.

Prélude – De XVII à XX.

Quand nous parlons du violoncelle, nous pensons à cet instrument version moderne du Quatuor à quatre cordes, accordé en quintes, joué, aujourd’hui, avec une pique et des cordes en métal. Pour les violoncellistes dont le répertoire est celui des XVIIe et XVIIIe siècles, l’instrument est cependant différent, les variations étant minimes. Le violoncelle ancien est joué sans la pique, ses cordes sont en boyau, touche et cordier ne sont pas de bois plein, l’instrument est plus léger, plus souple.

Premier mouvement – Les déclinaisons

Depuis la Renaissance, le violoncelle se décline sous de nombreuses formes différentes: «basses de violons», «bassetto», «violonccino», «violone» (petite basse de violon). Toutes ces basses d’archet sont autant d’ancêtres du violoncelle.

Deuxième mouvement – Bologne la native

C’est en 1665 que l’on a vu, pour la première fois, «violoncello» indiqué sur une partition, celle du compositeur italien Aristi. Il faut ensuite attendre Bologne, 1689. Le répertoire du violoncelle y naît avec un compositeur nommé Domenico Gabrielli qui laisse sonates et canons.

Bologne était alors le premier centre universitaire, doublé d’un centre ecclésiastique très important. L’artisanat y était très développé, la passementerie des vêtements ecclésiastiques y était réalisée, c’est-à-dire que des cordes d’or ou d’argent étaient filées pour les représentants de Dieu ici-bas.

Troisième Mouvement – Histoire de cordes

Les cordes sont d’abord en boyau. Elles sont ensuite filées de métal. Une corde en boyau filée, c’est une âme en boyau, un filet de soie – qui sert de lien entre le boyau et le métal – et le métal. Les cordes peuvent être filées en bronze, en cuivre, en argent, ou en or, ce qui influe sur leur poids. Le fait de pouvoir alourdir une corde a pour corollaire la réduction de sa taille. Les instruments sont donc de plus en plus petits, dit autrement, de plus en plus maniables, raison pour laquelle se développe une écriture virtuose qui leur est destinée. Les cordes en acier se généraliseront sur les violoncelles après la seconde guerre mondiale. À une première corde aiguë en métal d’abord ajoutée, succédèrent les autres dans la mesure où elles garantissaient aux instruments davantage de stabilité et de puissance et que cela correspondait à la recherche esthétique musicale: un son plus égal avec une couleur, elle aussi, plus égale.

Intermède

Pièce de Girolamo Frescobaldi – compositeur italien qui publia, à Rome et à Venise, durant la première moitié du XVIIe siècle et qui laisse un corpus important de canzones ou chansons – interprétée sur une grande basse de violon, accordée en sol et datant de l’époque de Monteverdi. L’instrument à six cordes est accordé en quartes et quintes, accord traditionnellement utilisé pour les basses de cette époque. On le retrouve, à la même époque, sur les violes de gambe en Italie et Angleterre.

Quatrième mouvement – Cache-cache

Certains éléments de l’instrument ne sont pas visibles puisque situés à l’intérieur. Ainsi en est-il, par exemple, de la pièce nommée «talon»: pièce de renfort en bois assurant la solidarité du manche avec l’ensemble du violoncelle, manche de plus en plus sollicité à mesure que la tension de l’instrument augmente au fil du temps.

Cinquième mouvement – De la jalousie

La basse, dont la fonction première est d’accompagner les autres instruments, a toujours eu le désir d’imiter les dessus. Les dessus, ce sont les violons, la voix, la flûte, les cornets. La basse se pose pour gageure de parvenir à interpréter des pièces virtuoses. Cet état de fait a perduré durant toute l’histoire de la musique, jusqu’à nos jours, avec le violoncelle. Dans les concertos romantiques, l’utilisation de toute la tessiture de ce dernier l’apparente à un instrument soliste.

Intermède

Passacaille de Vitali – joueur de basse d’archet au centre ecclésiastique de San Petronio, professeur de Domenico Gabrielli – interprétée sur une basse de violon d’après le luthier De Salo. Cette pièce n’est pas indiquée pour violoncelle mais pour violone.

Sixième mouvement – Do Ré Mi Fa Sol La Si Do

Il y a énormément d’accords différents à la Renaissance. Cette tradition perdure au XVIIe siècle: l’on n’hésite pas à changer l’accord de l’instrument afin que ce dernier «sonne mieux». Un instrument peut, effectivement, avoir un plus joli timbre dans telle ou telle tonalité. Pour certaines violes de gambe, en Angleterre, quelques soixante accords ont été répertoriés pour un même instrument. Un exemple d’accord type retrouvé à la fin du XVIIsiècle:

DO SOL RÉ, accompagné d’une scordatura (ici, un Sol au lieu du La), et d’une cinquième corde souvent accordée en Ré ou Do.

D’autres accords pour le violoncelle, qui peut être à quatre ou cinq cordes:

– DO SOL RÉ LA

– DO SOL RÉ SOL

– DO SOL RÉ LA RÉ

– DO SOL RÉ SOL RÉ

– DO SOL RÉ SOL DO.

Septième mouvement – Natures mortes instrumentales

Un instrument peut naître d’une toile. Sur scène, l’un se décline de la sorte: épaules de guitare, hanches en forme de C, feston, autrement dit «fesses» et manche relativement long. Cet instrument est l’œuvre de deux peintres, Bartolomeo Bettera et Evaristo Baschenis. Ces derniers ont œuvré dans le même atelier, au début du XVIIe siècle, à Bergame, et laissé deux séries de natures mortes fourmillantes d’informations. Ces toiles sont d’une précision telle qu’elles ont permis, après photographies, scanners et zooms, qu’un luthier fabrique l’instrument. Celui-ci demeure sans nom ou plutôt est nommé selon l’utilisation qu’en fait le musicien: grosso modo, alto ou ténor.

Intermèdes

Pièce d’Ortiz, musicien espagnol publié à Rome en 1553.

Pièce de Tobias Hume, The Passion of Musick.

Huitième mouvement – La viole de gambe

Viole de gambe et violoncelle ne sont pas de la même famille. Il est incongru d’évoquer l’idée d’une viole de gambe standard dans la mesure où il en existe de toutes sortes, les unes pouvant être bien différentes des autres. Cependant, si l’on persistait dans l’idée de critères définitoires, voilà ce qui pourrait être énoncé. Une viole de gambe possède six cordes, des ouïes en forme de C (ce qui la différencie du violoncelle puisque les siennes sont en forme de S), des frettes. Sa caisse a un fond plat (celle du violoncelle est arrondie). Une hypothèse pertinente : elle serait née à la fin du XVe siècle et résulterait de la transformation d’un instrument à cordes pincées, le «vihuela de mano». Celui-ci se jouait de la même façon que l’on joue une guitare. Afin de trouver de nouvelles sonorités, on a imaginé le jouer avec un archet. Simplement, pour ce faire, il fallait insérer un élément qui permettait que les cordes ne se situent pas toutes sur le même plan, de sorte que l’archet puisse aisément sélectionner la (ou les) corde(s) à jouer.  L’ajout du chevalet le permit. La viole possède un accord différent de ceux du violoncelle. Aux quartes s’ajoute la tierce. La viole de gambe est un instrument organisé en famille: il y a la basse, le ténor, le dessus – deux fois plus petit et accordé à une octave plus aiguë –, le «pardessus de viole» et le «violone». L’histoire du répertoire de la viole se situe d’abord en Italie, en Angleterre, France et Espagne ensuite. L’âge d’or de l’instrument a lieu, en France, entre la seconde moitié du XVIIe et la première moitié du XVIIIe siècle. Les compositeurs les plus connus sont Marin Marais et Monsieur de Sainte Colombe, son maître de viole.

Intermède

Extrait d’une pièce de Gabrielli.

Neuvième mouvement – Unisson

On a souvent voulu opposer la viole de gambe au violoncelle, principalement en France. La raison? La publication du pamphlet d’Hubert Le Blanc – Défense de la basse de viole contre les entreprises du violon et les prétentions du violoncelle – qui décline les prétendues prétentions du violoncelle désireux de supplanter la viole. Cette idée a perduré pendant des siècles charriant l’idée d’instruments qui ne sauraient s’accorder. Or, viole et violoncelle s’harmonisent très bien. Et pour preuve:

Intermède

Une chaconne de Corelli écrite pour deux violons, interprétée par les prétendus ennemis.

Dixième mouvement – Et viva Bach!

Présentation d’un autre instrument dénommé aujourd’hui «violoncelle Piccolo». Nous le connaissons grâce à Jean-Sébastien Bach, lequel, pour sa sixième suite, demanda un instrument ainsi accordé: DO SOL RÉ LA MI. Il se joue dans une tessiture de ténor et permet l’exécution de parties solistes de violes de gambe. Dans la facture, nous retrouvons quelque chose d’hybride entre violon et viole. La forme est celle d’un violoncelle avec de petites épaules. Le fond emprunte aux deux familles puisque nous retrouvons à la fois voûte du violon et pliure de la viole.

Onzième mouvement – De bois et de crins mêlés

Au XVIIe siècle, il n’y a pas de modèle type d’archets. La raison étant que chaque instrument appelle le sien propre. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que sa forme se stabilise. Certains ressemblent à un arc et offrent le sentiment d’un jaillissement sonore. D’autres, plus symétriques, invitent à l’aller-retour, au legato. Il est de coutume chez les violoncellistes de tenir l’archet par le dessus. Cependant, une remontée dans le temps permet de découvrir que certains jouent la main par en dessous, à la manière des gambistes. Des écrits relatent que, jusqu’en 1760 en Italie, certaines pièces de violoncelle étaient exécutées main dessous. Jouer main dessus convient davantage aux pièces qui exigent de l’archet qu’il saute de corde en corde. Jouer main dessous permet «d’étirer» la corde de manière beaucoup plus performante. Il existe deux types de crin, le noir et le blanc. La couleur est question de traitement: le crin noir est brut, le crin blanc a été lavé, ce qui lui procure une certaine souplesse. Un même archet avec crin noir ou crin banc sonnera donc différemment. D’une manière générale, le crin noir accroche plus la corde. Il est judicieux de l’employer lorsque l’on s’exécute sur un instrument où le boyau des cordes est conséquent, sur la basse de violon par exemple. Le crin blanc fait davantage chanter la corde, permet plus grande articulation et vélocité. Le choix de l’un ou de l’autre est affaire personnelle, question d’esthétique sonore.

Finale

Furent interprétés Diego Ortiz, Girolamo Frescobaldi, Tobias Hume, Giovanni Baptista Vitali, Domenico Gabrielli, Giuseppe Jacchini, Antonio Vivaldi, Angelo Corelli, Jean Barrière et Benedetto Marcello.

Mais cela ne se raconte pas.

 

About the Author

Doctorante en littérature française à l’Université de Brest, travaillant sur Samuel Beckett, Virginie est également passionnée par l’œuvre de Virginia Woolf, Marguerite Duras et Nathalie Sarraute. Elle porte de même un vif intérêt au cinéma et à la musique classique.

 

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