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Trois jours à Brest… La présence de Calvin Johnson fut une parenthèse inédite pour le festival Invisible#11 en novembre 2016. Elle fut une friandise précieuse dans l’histoire de la Carène, qui fête actuellement ses dix ans. Un moment de pur plaisir pour le disquaire indépendant brestois Bad Seeds qui lui voue une admiration fidèle. Et un véritable enchantement pour ceux qui l’ont découvert.

Le nom de Calvin Johnson est indissociable des groupes les plus importants de l’underground américain des années 80-90. Ce dinosaure du rock indé US est parmi les plus créatifs. En 30 ans de musique, il a fondé et animé Beat Happening, Narcotic Sound system et Halo Benders (avec son camarade Doug Marsh). Aujourd’hui sous le nom de Selector Dub Narcotics, il est seul aux platines et pose sa voix grave et singulière sur un bricolage sonore fou.

Inventivité durable

Originaire d’Olympia, état de Washington, Calvin Johnson est un leader culte pour de nombreux artistes aux USA et en Europe. Patron du célèbre label K Records, il a beaucoup essaimé et fait toujours l’objet d’une fascination alors qu’il n’a rien d’une star ! Il est même l’antithèse du bling-bling, incarnant le talent et l’inventivité durable dans ce vaste univers des musiques actuelles, en perpétuel mouvement. Sa manière singulière de « faire »  la musique, c’est-à-dire la créer, la produire et la diffuser se joue des conventions. Toujours à contre-allée, il surprend et réussit une digestion parfaite des styles musicaux en les recyclant.

La rencontre de cet artiste laisse des impressions singulières et indélébiles. L’homme est troublant, grand et comme sans âge. Son regard bleu abrite une profonde sensibilité et une fantaisie subtile ; sa gestuelle aussi. D’une courtoisie rare, il reste distant et se confie progressivement d’une voix sensuelle, presque hypnotique. Interview au Port de Co.

La gestuelle sensible et fantaisiste de Calvin Johnson ! Une danse inédite. Crédit photo @RayFlex

Vous avez commencé dans les années 80 avec une guitare acoustique, aujourd’hui vous en êtes à relire la musique dub à votre manière. Vous changez de nom selon vos périodes… Comment assimilez-vous les différents courants musicaux pour faire évoluer votre musique?

L’idée de sortir mon dernier album dans un style dub est née d’une collaboration avec Smoke, un producteur Hip-Hop que j’avais rencontré sur un projet de compilation à Olympia. On a travaillé cet album en plusieurs séquences sur un an, par moments très courts. Cela me change beaucoup, j’aime bien, c’est vraiment une nouvelle expérience.

Si j’ai joué différents styles de musique ces trente dernières années c’est sans doute parce que j’aime une multitude de musiques. On ne ne peut pas tout assimiler d’un seul coup. On ne peut pas non plus se répéter, jouer la même chose, enregistrer de la même manière… J’aime bien sortir de ma zone de confort. Rencontrer Smoke, c’était une belle opportunité.

Votre manière de créer, de produire et de diffuser est emblématique de la musique indépendante « home made », quelles sont vos particularités, vos limites ?

J’essaie toujours de repousser les limites et la meilleure manière c’est de mener des collaborations, de travailler en confiance. Quelle que soit la situation, c’est toujours une question de rencontre, de complicité. Il faut croire en ce que les autres peuvent t’apporter, cela stimule beaucoup la création.

Rencontre inédite avec Calvin Johnson au port de CO à Brest, le 18 novembre 2016, lors du festival Invisible. Crédit photo @RayFlex

Vous avez souvent eu des liens étroits avec d’autres musiciens, comme Beck ou Kurt Cobain, avec quels artistes êtes-vous en relation aujourd’hui ?

Quelques notes collector !

J’étais dans le Mississipi il y a quelques mois pour découvrir le label Arkam Records (Alabama). J’ai rencontré Jannie Barrier, le fondateur du label, il m’a demandé d’enregistrer pour lui en studio, c’est un artiste excitant ! On a préparé plusieurs morceaux avec le groupe The Pine Hill Haints.

Il m’a aussi mis en relation avec un autre groupe de son label, Hartle Road, basé à Columbus. On a préparé plusieurs titres. On jouera ensemble au printemps 2017 lors d’une petite tournée en Californie et sur la côte Est. J’apprécie beaucoup tous ces musiciens, ils sont particuliers, leur musique est un mélange de rockn’roll de cave, un peu transe et funky ! C’est marrant. On répète nos morceaux, je fais la voix, ils font le back-up. Je prévois aussi de tourner avec eux cet été dans le Tenessee, l’Alabama, la Géorgie puis sur la côte Ouest.

Comment expliquez-vous la longévité de votre label indépendant K Records ?

K Records dure depuis 30 ans parce que l’on fait ce que l’on aime, on édite la musique qui nous fait plaisir. On a commencé à vendre nous-même nos disques parce qu’on n’était pas connu au début, on n’avait pas notre place dans les bacs des boutiques. On a conservé notre manière de faire, on est une bonne équipe, stable.

Depuis environ dix ans, K Records a désormais un distributeur fidèle aux USA et des distributeurs spécifiques en Europe, un en France et un autre en Grande-Bretagne.On entretient aussi une relation directe et privilégiée avec nos clients du monde entier depuis toujours, nos courriers sont personnalisés. C’est le principe du circuit court. C’est notre état d’esprit indépendant, il ne change pas.C’est aussi simple que ça… Music is going on !

Que pensez-vous de l’exposition consacrée à K Records présentée par un disquaire indépendant brestois, Bad Seeds, durant le festival Invisible ?

Le label indépendant K Records fondé par Calvin Johnson a fait l’objet d’un livre documentaire.

Je suis très flatté que ce disquaire ait choisi son nom en référence à un morceau de mes débuts, Bad Seeds justement. Je suis aussi très honoré de cette exposition sur le label. Je ne pensais pas voir autant de pièces de collection, des pochettes de vinyles, des vieux fanzines, des tee shirts, des affiches. C’est vraiment très cool.

Comment vivez-vous votre tournée actuelle en Europe? Quelles découvertes et expériences ?

C’est une tournée dense, très riche. J’étais deux semaines en Grande-Bretagne, j’y ai rencontré beaucoup d’artistes à Plymouth, Falmouth, Leeds, Newcastle. Puis j’ai joué deux semaines en Allemagne sur la tournée du groupe Aries. Ensuite, j’ai enchaîné sur l’Autriche, la Hongrie, la Tchéquie, la Slovénie, l’Italie.

Je ne suis qu’une semaine en France (Toulouse, Paris, Nantes, Rennes et Brest), vous accueillez très bien les artistes ! Aux Etats-Unis, c’est le hobo lifestyle, on doit se débrouiller pour se loger, on vient, on joue et on repart. C’est plus terre à terre. Ici c’est vraiment agréable, on est soulagé de la logistique, on nous héberge, on nous donne à manger, tout est fait pour que l’on se sente bien et le public est très enthousiaste. Dans chaque pays, c’est différent. Il y a des endroits où c’est plus difficile de briser la glace.

Vous semblez attaché à votre ville Olympia (État de Washington), dans quel environnement vivez-vous ?

C’est une ville qui a beaucoup d’attraits. Elle est entourée de montagnes, de lacs, de rivières, de forêts. C’est proche d’une grande péninsule très boisée dans le détroit de Puget Sound, avec des fjords, c’est très beau. D’un point de vue culturel, c’est assez riche, il y a beaucoup de musiciens, de labels indépendants, c’est super.

La cité est administrative car c’est la capitale de l’État mais le contexte économique a beaucoup changé ces trente dernières années. Il y avait une tradition d’agriculture et de pêche et puis il y a eu le boum technologique dans toute cette région nord-ouest, dans l’Oregon et Washington. De grandes sociétés telles que Amazon, Google et Microsoft se sont implantées à Seattle, ça a fait monter les prix des logements. C’est devenu très cher d’habiter à Portland par exemple.

Actuellement, il y a une grande polémique au sujet du gaz de schiste et de son exportation. Car les convois ferroviaires qui proviennent des extractions du Texas et de Louisiane transitent par les ports de notre région pour partir vers l’Inde et la Chine. Ces compagnies polluent nos côtes et nos rivières depuis des années avec des rebuts toxiques de charbon et de pétrole et là avec le gaz de schiste dont on sait qu’il accélère le réchauffement climatique. Les gens de la région contestent et bloquent les trains, ils ne veulent plus supporter tout ce business qui créé ce désastre écologique. C’est un mouvement de révolte intéressant !

Interview concoctée par Marguerite Castel avec la complicité de Yannick Martin, Sophie Bernard, Christophe Mevel et Alan Hudin.

About the Author

Journaliste freelance, Marguerite écrit dans le Poulailler par envie de prolonger les émotions d’un spectacle, d’un concert, d’une expo ou de ses rencontres avec les artistes. Elle aime observer les aventures de la création et recueillir les confidences de ceux qui les portent avec engagement. Le spectacle vivant est un des derniers endroits où l’on partage une expérience collective.

 

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