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Avant même d'écouter le disque, c'est sa pochette qui nous interpelle : une cavalière bombée au port altier, hautaine, regard brûlant et lèvres pulpeuses,  voutée sur la crinière de son cheval, et ce titre Motets pour une princesse…  La communication de l’ensemble Marguerite Louise est toujours volontairement décalée, dépoussiérant l’image de la musique baroque. En lieu et place de toiles d'araignées, vitraux et autres codes généralement associés à l'univers baroque, se jouent ici la modernité, mais aussi la sensualité, l’intime, la sensation.

La danger d'une bonne communication, c’est que la musique ne soit pas à la hauteur de l’image que l’on crée: Le disque tient-il les promesses de la pochette? Est-il possible de mêler l'intime et le sacré?

Ne nous y trompons pas, Gaëtan Jarry, qui dirige l’ensemble, est également organiste, claveciniste et excelle dans la musique baroque sacrée française. Ses musiciens, tous enthousiastes et engagés, sont souvent membres d’autres ensembles de référence en musique baroque. Ils jouent sur des instruments anciens, et chantent un latin restitué (ndlr : le latin est prononcé tel que l'on pense qu'il l'était à l'époque en France). C’est donc de la (bonne) musique baroque avec ses codes que l’on va entendre dans ce disque. Pas si décalée que ça alors?

Décalée peut-être pas, mais sensuelle et intime c'est certain! C'est dans ce don de soi à la musique et à l'auditeur qu'il porte son ensemble avec une énergie et une passion communicatives.

Ce qui frappe immédiatement à l’écoute du disque, c’est la générosité à tous points de vue.

Générosité à l’image de Gaëtan Jarry qu’il suffit de voir diriger ou jouer pour comprendre qu’il offre son corps comme son cœur à cette musique. C'est dans ce don de soi à la musique et à l'auditeur qu'il porte son ensemble avec une énergie et une passion communicatives. On sent que l’ensemble ne s’est pas seulement réuni pour un disque, que les musiciens se connaissent et jouent ensemble, qu’ils aiment cette musique, qu’ils se rencontrent dans le son, dans le geste, dans l’émotion.

Cette générosité dans l’énergie et le son n’est pas sans rappeler le disque consacré aux motets de Charpentier de l’ensemble Pierre Robert de Frédéric Desenclos, dont Gaëtan Jarry fut l’élève. On y retrouve également l’alternance de pièces d’orgues et de pièces pour solistes et deux dessus.

Au clavier, Gaëtan Jarry a décidé de nous faire découvrir des pièces de Jacques Boyvin et nous donne à écouter toutes les sonorités, y compris le tremblant doux de l’orgue de Champcueil, construit en 2008 et inspiré des instruments français du XVIIe siècle.

Il semble d’ailleurs que le travail sur les sonorités, les couleurs et les timbres soit un élément essentiel de cet enregistrement, où le choix des dessus (flûtes à bec, traverso et/ou violons) est soigneusement  étudié sur chaque pièce, où la présence d’une basse de flûte introduit de nouvelles couleurs et où le son du basson mêlé à la voix soliste de la basse taille dans le Quam Dilecta crée un timbre unique.

La majorité des motets de Marc-Antoine Charpentier choisis dans ce disque est composée pour trois solistes (baryton et deux sopranes), deux dessus (violons et/ou flûtes) et basse continue (orgue, théorbe, viole de gambe, et basson). L’écriture de Charpentier oppose souvent les basses et les dessus: le timbre extrêmement riche en harmoniques de la basse-taille de David Witczak assume parfaitement ce rôle. La richesse de son timbre comble un vide intérieur et la dualité avec les voix des deux dessus (ndlr : sopranes) n’en est que renforcée.

Charpentier joue sur les tensions, les frottements, les retards et les voix de Virginie Thomas et Cécile Achille s’attendent, se fuient, se cherchent et se frottent et c'est notamment de là que nait la sensualité de ce disque, telle une chorégraphie vocale, tel un ballet amoureux de papillons virevoltants. 

Le point culminant de ce disque est sans aucun doute le De profundis, pièce déchirante. Si la musique baroque est celle de l’affect et des passions, ce motet en est une illustration parfaite dès l’entrée des chanteurs. La voix d’Anaïs Bertrand, bas dessus (ndlr: mezzo), porte la dimension dramatique, et le trio qu’elle forme avec David Witczak et Cécile Achille est sublime d’équilibre. Les instrumentistes sont tout en retenue. Les harmonies et la tension de cette pièce touchent au cœur qui, au choix, s’emballe ou manque un battement. C’est bien de cette manière que l’ensemble Marguerite Louise touche à l’intime.

Ces pièces inconnues et inédites sont des bijoux d’écriture, et l’ensemble a su faire sortir du cocon ces partitions pour en montrer la beauté, la sensibilité et la finesse. C’est d’ailleurs la mission que s’est fixée le label L’encelade spécialisé dans la musique baroque et qui produit ce disque: mettre en avant du répertoire inédit et des artistes méconnus. C’est une mission réussie avec ce disque.

Motets pour une Princesse
Ensemble Marguerite Louise
Label L'encelade

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