Rien de nouveau puisque Jeanne Moreau repose désormais cimetière Montmartre, 21ème division, 1ère ligne, sépulture 69, dos à dos avec Truffaut. Histoire d’Absences répétées.
Évoquer Jeanne Moreau, c’est se retrouver confronter au dilemme de l’âne de Buridan, c’est se résoudre à ne parler de rien pour s’épargner la « sauvagerie d’un choix »[1]. Peut-être le temps aiderait-il à la chose. Après tout, huit mois furent accordés par Libération à Marguerite Duras pour l’écriture des dix articles qui composent maintenant L’Été 80. Mais nous ne sommes pas Duras et Noël est dans quelques jours. Donc, avant que la mémoire ne flanche, ce tourbillon : Ascenseur pour l’échafaud, Les Liaisons dangereuses, Moderato Cantabile, La Nuit, Jules et Jim, Le Procès, Eva, La Baie des anges, Le Journal d’une femme de chambre, Le Marin de Gibraltar, La Mariée était en noir, Jeanne la française, Nathalie Granger, Querelle, Jusqu’au bout du monde. Autrement dit, à l’image de cette dévoreuse et solaire, tout !
Néanmoins, pause dans ce tourbillon et cap sur La Vieille qui marchait dans la mer (1991) de Laurent Heynemann, adaptation du roman éponyme de Frédéric Dard. Jeanne Moreau y campe le personnage de Lady M, vieille femme riche et excentrique qui arpente la planète, à l’affût de fructueuses escroqueries, en compagnie d’un ancien diplomate roumain – jadis amant – Pompilius Enaresco, interprété par Michel Serrault. Lady M, c’est donc trois passions : l’argent, l’aventure et l’amour – 2017, code de son coffre-fort est aussi le nombre de ses amants – et, justement, d’amour il n’est plus question entre Lady M et Pompilius que seuls ses costumes, ses imparfaits du subjonctif et sa façon de boire le thé invitent Lady M à garder auprès d’elle. Lady M jette son dévolu sur Lambert, jeune plagiste qui l’accompagne, tous les matins, marcher dans la mer pour soigner son arthrose de la hanche. Cette âme de Gigolo, que l’appât du gain anime, plonge – étonné – aux côtés de sa surannée Lady, dans une confusion des sentiments.
La Vieille qui marchait dans la mer, c’est, à la fois, un art de la formule, une joute verbale piquante – « Abominable vieillard glauque et fripé […] vous ne tenez que par l’amidon de votre chemise et le pli de votre pantalon. Il ne vous suffit pas de n’être plus aimé, vous cherchez absolument à vous faire haïr. Rassurez-vous, vieux mou, vous êtes sur la bonne voie » –, des fautes d’expression séduisantes, un humour grinçant, une claudication à propos, un « éloge du maquillage », une sensualité décalée, une vision originale de l’âge avancé parce que « Suffisamment est un adverbe de retraité, Lord du con ».
La Vieille qui marchait dans la mer, c’est Jeanne Moreau.
[1] Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein [1964], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2009, p. 31.