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L’exposition Peripheral feed, à Passerelle à Brest, jusqu’au au 28 avril, est signée Édouard Le Boulc’h. L’artiste plasticien, aussi producteur de musiques électroniques, interroge le futur de notre alimentation. Nous l’avons rencontré alors qu’il était en résidence de création.

La thématique des Smartfoods (substituts de repas, comprenant toutes les vitamines, minéraux, protéines… dont le corps à besoin, faciles à préparer et peu chers) et de comment la technologie s’empare du culturel est-il un sujet que tu as l’habitude de traiter ?

La technologie plus globalement oui, ce n’est pas quelque chose de nouveau ; j’y viens naturellement finalement : j’ai l’impression qu’on parle tous un peu de technologie à travers ce que l’on fait. Et maintenant, en ce qui concerne la question alimentaire, la technologie devient assez importante. J’essaie de m’intéresser à ce qui est proposé à ce niveau là. Je parle de Soylent (1), mais c’est surtout une manière d’exposer une forme de proposition et comment on applique ces propositions, comment on les consomme, comment elles sont véhiculées, comment l’information nous arrive-t-elle, par quels biais, par quels moyens, par quelles images. Après, je n’avais pas envie que cette installation ne soit orientée uniquement autour du Soylent. C’est la Smartfood en général que je présente dans cette installation, plutôt orientée sur les techniques du Do it yoursef (fais-le-toi-même) d’alimentation. Il y aura donc d’autres choses qui viendront contrebalancer pour former un état des lieux le plus objectif possible, afin de montrer une toute petite partie de ce qu’on a à disposition aujourd’hui. La technologie derrière chaque thème m’intéresse mais, plus globalement, c’est une problématique plus générale : comment va-t-on vivre demain ?

Il y aussi la question du rapport social du repas ?

Oui, c’est un état des lieux mais aussi une manière d’informer et de savoir jusqu’où ça peut aller ; quand j’ai découvert l’existence de Soylent j’étais à la fois surpris, fasciné et en même temps effrayé. J’essaie donc de montrer toutes ces sensations et toutes ces émotions que ça va provoquer, de rendre compte de ces concepts maintenant actifs.

Inconsciemment, cette proposition là – et ça n’est pas son but premier – questionne de notre capacité à abandonner certaines choses et à mesurer la perte ou l’abandon qu’on va devoir effectuer, soit pour changer nos manières de vivre soit pour aller vers un autre idéal. La question même d’idéal devient contingente car totalement subjective. Ce qui va poser tout un tas de problème traditionnellement parlant, socialement, politiquement parlant mais aussi, systémiquement parlant. Certains spécialistes affirment que ce genre d’innovations est susceptible d’influencer en profondeur notre système global. Il est important de porter une attention toute particulière sur notre capacité à tester ce genre d’innovation, qui seront ensuite adaptées à un système à plus grande échelle.

On pourrait parler de révolution ?
C’est assez vieux, l’art nutritif et les démarches qui vont dans ce sens. Après, il y a aussi le côté fictionnel qui accompagne ce genre de projets. On sait recréer un steak en laboratoire donc on est capable de faire beaucoup de choses. Mais comment cela est perçu, utilisé, c’est là que ca m’intéresse. Quels sont les modes d’application, comment nous, en tant que personne, on l’utilise, comment cela se concrétise-t-il dans l’imaginaire collectif ?

On pourrait donc y trouver un rapport au progrès ?

Oui, forcément, j’associe beaucoup la technologie au progrès : c’est une vaste notion qui englobe la technologie mais aussi beaucoup d’autres choses. On parle de ça car derrière chaque action que l’on mène, il y a cette question du progrès technique. Et de toute façon il y a une question technique.

Comment as-tu construit ton champ de références ?

C’est parti d’une découverte banale, j’ai lu un article sur le Soylent, publié par le média Vice. Cela a été un déclencheur pour parler de ce sujet, auquel je pensais déjà.

Par quelles étapes es-tu passé pour réaliser cette exposition ?

Il y a d’abord une phase de réflexion assez lointaine : je pensais déjà à des formes et des matières avant de commencer la résidence à Passerelle. En arrivant ici [au centre d’art Passerelle, NDLR], j’ai vraiment commencé à établir un schéma de pensée, que j’ai commencé à écrire. J’ai pensé cette installation comme une zone d’expérimentation qui générerait des formes d’elle-même ; et il y a aussi ce film, qui au départ était un documentaire, puis s’est transformé en une chaîne de télévision, une référence importante pour moi dans Soleil Vert (2). C’est donc comme ça que je commence à réfléchir autour de Soylent, le film, le produit et le film Soleil vert ; j’ai tissé des liens aussi avec le rituel domestique qu’est le repas. Ces rituels contemporains qu’on peut encore observer et qui sont intégrés dans une façon de vivre, mais qui ne sont pas forcement identifiable ou explicites. Je réunis tout ça pour écrire une narration.

L’exposition est un peu construite comme un laboratoire, ce lieu a-t-il une importance pour toi ?

Oui, aujourd’hui on peut expérimenter facilement avec des outils simples, il y a beaucoup de choses qui sont accessibles grâce à internet : des plans et des processus accompagnés et abondamment décrits, qui sont mis à disposition, je me suis servis de ça. Techniquement parlant c’est utile, on sait précisément quoi utiliser, nous sommes avertis, et nous savons à quoi nous en tenir.

Quelle est la place de la science fiction dans la construction de notre imagination du progrès et de l’évolution des sociétés et comment tu utilises ces codes ?

Je pense que la Sciences-Fiction est vraiment très intéressante car elle concrétise des espaces de pensée, des formes et des imaginaires qui sont très intéressants à analyser. Si je prends l’exemple de Soleil vert : même si le Soylent n’est pas fait à partir de chair humaine, il y a des connexions évidentes qui s’établissent dans un espace de 40 ans de progrès et d’évolution. Je ne dis pas que la science fiction permet d’anticiper, mais c’est une sorte de forme de fluide qui traite de questions contemporaines et qui nous parle de projections mentales d’un futur proche ou de formes de systèmes qui pourraient être les nôtres d’ici peu. Les masses de récits de ce type visent également à montrer qu’il est possible  d’aborder ces productions de manières plus féconde… peut-être comme une forme éthique du futur.

 

(1) Soylent est un des premiers aliments qui a initié le mouvement de la Smartfood. C’est un produit dont le nom a été emprunté au Soylent du film Soleil Vert, film dans lequel, la population, majoritairement pauvre, se nourrit principalement de tablettes protéiniques. Le Soylent est une poudre à laquelle on ajoute de l’eau, sensée remplacer un repas. Ce produit a été inventé par un développeur informatique de la Silicon Valley.
(2) Soleil vert est un film d’anticipation de Richard Fleischer sorti en 1973.

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