By

Le photographe brestois Vincent Gouriou poursuit, depuis 2012, un travail centré sur le portrait et la question de la (re)construction de soi selon des particularités physiques, psychologiques ou sexuelles. Il entre aussi dans l’intimité de toutes les familles, quelles qu’elles soient. Une partie de ses photos sera exposée à Lannion à partir du samedi 24 juin, dans le cadre des Estivales Photographiques du Trégor 2017, un événement organisé par l’Imagerie de Lannion qui a retenu pour thème, cette année : « Bretagne(s) ». 

Il se cache derrière des visages des histoires indicibles. Les visages de Vincent Gouriou sont sans sourire. La peau est lisse et d’une grande pâleur. Parfois les visages sont marqués par le creusement d’un cerne ou d’une ride, d’une ombre étale, là, sur la joue juvénile. Parfois les yeux sont rouges, fuyants, parfois des grains de beauté, parfois un crâne chauve recouvert d’un bonnet. C’est la vie qui passe sur ces visages, la vie qui traverse les âges, les maladies, les cris silencieux. La journaliste Dominique Cresson dit que les portraits de Vincent Gouriou, ce sont « des amis, des proches, des inconnus, des familles faites de gays, de personnes transgenres, de femmes seules avec leurs enfants, et d’autres familles plus traditionnelles ». Des garçons et des filles, des femmes et des hommes, plus ou moins jeunes, plus ou moins vieux, seul(e)s, en couple. « On ne naît pas homme ou femme, on le devient », dit-elle encore. Les portraits de Vincent Gouriou ravivent la question de la normalité et de la différence, entre identités et singularités. 

Histoire(s)

Vincent Gouriou, sa pochette sous le bras, sort une à une les photos imprimées sur du papier d’art texturé. « Je m’intéresse de plus en plus à l’histoire des gens photographiés ». En une heure de discussion, il ne prononcera pas une fois le mot « modèle ». Ce mot, il ne l’aime pas. « Il y a un côté objet qui me déplaît. Les personnes que je photographie ne sont ni actrices ni acteurs ; nous ne sommes pas dans la comédie. Les poses sont simples, naturelles et sincères. Jamais, je ne trahis qui elles sont. Même quand je leur demande de changer de vêtements, je ne viens pas avec une panoplie sous le bras. Elles sont chez elles, dans leur univers et c’est moi qui entre dans leur univers. Ce sont des histoires de vie que je prends en photo. » 

Véronique, Anne et leurs jumeaux Angèle & Lucien, Brest (2013) © Vincent Gouriou

Parfois on ne voit plus la ressemblance entre les êtres mais seulement les cases dans lesquelles ils sont rangés. Et puis, il y a ceux qui n’entrent pas dans des cases. Vincent Gouriou casse les cases et rend au monde ces corps qui lui appartiennent. Les séries qu’il a commencées depuis 2012 ne sont pas achevées et ne le seront peut-être jamais. « Il y aura toujours des photos à faire sur ces sujets ». Ça a commencé avec Madeleine, une petite grand-mère assise sur son lit, les mains sur les genoux. Une religieuse âgée de 88 ans, une amie de toujours de sa mère dont le portrait est à la frontière de l’oeuvre picturale. Ça a continué avec d’autres personnes : des portraits sans lien, pris hors-contexte, sans fil rouge. « Je me suis de plus en plus intéressé aux vécus de ses personnes – des amis, des connaissances ». 

Il est allé au plus près de l’intime, au plus profond du regard et du corps.  Au final, ses séries Singularité(s), Genre(s) et Des Famille(s) sont très reliées. « Je remarque aujourd’hui qu’il n’y a pas eu de rupture dans mon travail (peut-être pas encore ?, questionne-t-il). Mon travail reste linéaire, il évolue mais les séries communiquent toujours ensemble. Je réalise peut-être plus de plans séquences qu’au début. Au début, il y avait seulement une image. » Maintenant, Vincent Gouriou suit ses personnages à travers les âges, propose plusieurs photos qui varient entre plans larges et serrés, entre les visages et les gestes, entre les décors… pour mieux raconter les histoires.

Images militantes

Parmi les histoires, il y a celle de Mélanie et de son père à Quimper (photo de Une). La série Des famille(s) questionnait alors les nouveaux modèles familiaux et leur possibilité d’existence, à l’époque de la loi ouvrant le mariage et l’adoption à deux personnes de même sexe, en 2013. Il y avait pour Vincent Gouriou, « la nécessité de mettre en image l’évolution des modèles familiaux et sociétaux ». Mélanie née homme est aujourd’hui femme. « Je l’ai rencontrée avant ses opérations. Aujourd’hui, son état civil a changé. Je la photographie toujours ». Il y a l’histoire du petit garçon atteint d’une triple scoliose qui portera un corset d’immobilisation jusqu’à ses 18 ans. La photo a intégré la série Singularité(s) avant que Vincent ne décide de photographier l’enfant tous les ans, chaque fois que le corset doit être remplacé. L’enfant grandit, le corset change. « Cette série s’intéresse à la condition humaine à travers les différentes étapes de la vie et ses transformations du corps : l’enfance, l’adolescence, la vieillesse, la maladie, l’identité sexuelle. Un trouble, un doute, une singularité qui nous différencie et nous unit. Une faille par où passent la lumière, un regard, un grain de peau… », commente le photographe.

© Vincent Gouriou

Les images de Vincent Gouriou nous donnent des nouvelles du monde que nous ne voulons pas forcément entendre ou voir. « J’assume le côté militant des images ». Cela n’a pas été un choix dès le départ. « Je me suis rendu compte que la visibilité et la connaissance sont importantes pour la tolérance et l’acceptation. Je cherche à créer une empathie chez le spectateur qui découvre les photos. Je touche à des valeurs universelles, je ne suis pas dans la provocation, je ne cherche pas à choquer mais à toucher, à provoquer la reconnaissance. C’est un peu comme une porte ouverte. » Les visages sont ceux de « gens qui sont – comme tout le monde – simples, sincères et auxquels on peut s’identifier ou à travers lesquels on peut identifier un cousin, une amie, un parent… ».

« On n’est pas dans l’instantané »

Quand il prépare sa séance, Vincent Gouriou fuit le soleil, même en intérieur. Il préfère un ciel gris et bas, il préfère faire entrer la lumière par les fenêtres, travailler avec un réflecteur pour réfléchir la lumière sur les zones d’ombres. « Je cherche cette lumière cotonneuse, je filtre les rais de lumière. S’il y avait plus de soleil, on n’aurait plus aucun contraste sur les visages, ce n’est pas ce que je cherche ».  L’intemporalité des décors et des lieux – souvent en intérieur, dans la chambre, la salle de bains, le salon des photographiés – accentue le côté pictural des images. C’est tout un travail que de poser avec Vincent Gouriou : deux heures, trois heures, parfois quatre. « On n’est pas dans l’instantané. »

© Vincent Gouriou

Patient, minutieux, perfectionniste, il attend le lâcher-prise, silencieux. « Les prises se font en silence. Le silence ne me gêne pas, au contraire ». Une ambiance sans mot s’installe, juste le bruissement du corps, un menton repositionné, un main qui touche l’épaule pour replacer le corps dans une autre position. « J’entre dans un état de transe, il me semble que je ne sens plus ni le froid ni la douleur au moment de la prise photo. Je n’ai plus notion de danger, je me déplace là où l’angle sera idéal, soit-il en haut de falaises – pour les séances en extérieur. Je sors de ces séances complètement épuisé, transpirant. » 

Vincent Gouriou n’est pas zen quand il est derrière l’objectif mais il préfère être derrière que devant. Dans un état de concentration intense. « Les photographiés comprennent vite qu’il ne faut pas me parler. » Au résultat, les visages de Vincent Gouriou sont figés entre douleur et douceur. Parfois les photos mettent mal à l’aise – celle de l’enfant, celle de cette femme atteinte d’un cancer… « La douleur fait partie de la vie et je ne dois rien occulter. C’est aussi comme ça que j’aime la photo. J’ai besoin de choses un peu plus rugueuses pour accrocher mon regard. Il n’y a pas de raison de ne pas la montrer. » 

Une exposition cet été

À partir de samedi (24 juin), les visages de Vincent Gouriou seront à nouveau dévoilés (ils l’ont déjà été à Rennes, Nantes, Paris, Sofia, Amsterdam, San Francisco…). Une partie des photos – dont certaines inédites – de ses trois séries, Singularité(s), Genre(s) et Des Famille(s), seront exposées à Lannion à l’occasion de l’édition 2017 des Escales Photographiques du Trégor. Cette exposition collective (on retrouvera également les travaux de Laurent Bellec, Philippe Caharel, Stéphane Lavoué et Zeng Nian) met en avant le regard d’auteurs contemporains sur la Bretagne. « Une région, ses femmes et ses hommes, ses architectures agricoles et industrielles, ses paysages traduisant la réalité des mutations humaines et économiques », présente le festival. « Pour la sélection de mes portraits, nous avons choisi avec l’organisateur (l’Imagerie de Lannion, NDLR), ceux qui sont les plus intimistes et photographiés en intérieur car mes photos prendront place dans la dernière salle de l’expo, un peu plus petite, dans une ambiance tamisée. » Les visages de Vincent Gouriou seront ceux des hommes et des femmes habitant principalement le Finistère et le Centre-Bretagne. Et derrière ces visages, toujours sans sourire, les histoires indicibles de chacun pourront à nouveau exploser au grand jour.

Découvrir le travail de Vincent Gouriou

En savoir plus sur l’Imagerie de Lannion et l’exposition 

© Vincent Gouriou

About the Author

Journaliste. Adepte de festivals et de concerts de tout genre, elle écoute beaucoup de choses (Dalida, en particulier) mais n’aime pas tout. Elle écume surtout les soirées brestoises pour rencontrer celles et ceux qui y apportent des vagues. Et discuter avec eux de musique, de littérature, de photographie, de cinéma ou, après tout cela, bien entendu… de Dalida.

 

Leave a Reply