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Il est essentiel d'aller voir le documentaire No land's song! Parce qu'à travers son parcours de combattante pour obtenir l'autorisation d'organiser un concert de chanteuses solistes, Sara Najafi suit un chemin sinueux, fait de hauts et de bas, qui à lui seul pose un triste constat: être une femme est un danger pour certaines. Regarder ce film, c'est ressentir pleinement et simplement cela.

En Iran, depuis 1979, les femmes n'ont pas le droit de chanter seules sur scène, or il existe de magnifiques chants persans qu'interprétaient auparavant de célèbres chanteuses. Aujourd'hui, il y a encore des femmes courageuses prêtes à chanter ce répertoire lyrique et Sara, une des rares compositrices iraniennes, a décidé de les faire monter sur scène.

Ce documentaire retrace ses démarches pour faire aboutir ce concert. Cela prendra presque trois ans!

Le film fonctionne comme un puzzle qui, peu à peu, prend toute sa puissance.

D'abord, il y a les premières démarches au «ministère de la culture et de la guidance islamique»! Cachée sous le voile, la caméra enregistre les arguments sérieux et pourtant délirants pour justifier les refus d'autorisation. On entend seulement les voix, et le noir de l'écran est bien révélateur d'un obscurantisme choquant. On enverrait tout valser à la place de Sara, si patiente.

En effet, il faut savoir s'y prendre pour surmonter petit à petit de telles absurdités: dire qu'il y aura des hommes sur scène (même si, en vérité, ils chanteront tout bas), faire venir deux chanteuses françaises et une tunisienne (pour que ce projet devienne interculturel), aller à Paris les rencontrer, et aussi interroger un théologien pour «comprendre» cette interdiction de chanter...

Face à ce religieux - la scène est édifiante - Sara s'entend dire que la voix des femmes, comme l'alcool, suscite l'émoi, l'ivresse, l'avilissement!

Pourtant, il y eut un temps où les théâtres, les cinémas aujourd'hui détruits ont entendu la voix de la célèbre Qamar (1920). Son image en noir et blanc traverse le film et renforce par son contraste le triste recul de la société iranienne.

Enfin, il y a ces femmes qui chanteront, des femmes dont les voix font frissonner, emportent et transcendent la bêtise et l'étroitesse d'esprit contre laquelle luttait déjà Voltaire.

Les Iraniennes sont lumineuses malgré les déceptions et Jeanne Cherhal, Elise Caron et Emel Mathlouthi découvrent, au fil du temps, une absence de liberté qui leur fait aussi violence.

J'aurais aimé être présente à ce concert unique à l'opéra de Téhéran, sentir ce souffle, être au plus près de ce chant qui devient forcément un acte de liberté, porté par ces chanteuses unies par leur voix et la musique.

Les déhanchements interdits et comiques de Marjane Satrapi sur Iron Maiden (Persepolis) me sont revenus. Et j'ai aussi pensé aux femmes de Rakka, qui en se filmant et en déployant actuellement leurs cheveux sur le Net, font d'un geste féminin quotidien un acte politique, au péril de leur vie...

Et bien chantez maintenant!

 
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Emmanuelle Dauné aime lire, regarder, écouter, rencontrer, picorer pour le Poulailler...et surtout "faire passer", partager une culture accessible, qui nous fait nous sentir plus vivants.

 

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