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Tels des divinités grecques, des visages posant de trois quarts, coiffés de fraises, de citrons, de raisins ou de salade verte ont investi les panneaux d'affichage des quatre coins de Brest. La cité du Ponant accueille durant la première quinzaine d'avril le festival international de théâtre d'improvisation. Une communication tutti-frutti qui interpelle et donne l'occasion de nous interroger sur le genre. Rencontre avec Franck Buzz, fondateur avec Sébastien Chambres de la troupe Impro Infini qui creuse la discipline depuis 2004 et porte le festival Subito! Rendez-vous majeur en France pour cette communauté de professionnels et d'amateurs qui retrouve son public (4000 personnes attendues) autour d'un appétit partagé de relation à l'autre, de liberté et d'humour.

Qu'est le théâtre d'improvisation dans la famille du spectacle vivant? Un courant alternatif?

Il est alternatif dans le sens où il ne rentre pas dans un cadre reconnu de l'institution. La scène du théâtre d'impro est pourtant très active, elle a son public, elle attire les amateurs et se professionnalise. C'est une grande communauté.

L'homme a toujours raconté des histoires en improvisant, avant de lire et d'écrire. La commedia dell'arte a beaucoup improvisé à partir de personnages masqués et en intégrant les propositions du public. Jusqu'à Molière, les comédiens s'emparent de personnages avant le texte, qui a dépossédé en quelque sorte l'acteur de sa responsabilité car il restreint ses possibilités de création. Durant les années 50, de grandes écoles aux États-Unis ont rétabli les techniques d'improvisation théâtrale en travaillant sans finalité de spectacle. Viola Spolin, puis Paul Sils et Delclose notamment ont milité pour son potentiel créatif et libérateur. L'improvisation libre est devenue un champ à part ces quarante dernières années, elle a a rencontré l'appétit du public et des amateurs parce qu'elle est plus accessible, moins intimidante. Notamment auprès des jeunes qui rejettent le théâtre parce qu'ils redoutent l'institution.

En quoi est-ce du théâtre alors qu'il ne sert pas de texte?

En improvisation, le comédien est l'auteur, l'acte de création est simultané à l'acte de représentation, c'est une écriture en temps réel. Sur scène, l'enjeu est de sortir de sa zone de confort, on ne sert pas un auteur mais une responsabilité. On gère son propre texte, l'interprétation et la mise en scène en même temps. Et ces compétences s'amplifient avec la pratique. Il faut aussi savoir accueillir l'erreur avec le sourire, car elle n'est pas mauvaise: elle est inattendue. Un incident peut être déclencheur de l'histoire. Et le public a un rôle important, il est en interaction avec le comédien qui va s'inspirer de ce qu'il ressent dans la salle. C'est un moment unique à chaque fois. On peut d'ailleurs faire une analogie avec le jazz, musique qui excelle dans l'impro. La fausse note est considérée comme un point de départ du processus, elle crée quelque chose de nouveau.

Quelle(s) forme(s) adopte-t-il?

L'improvisation s'est beaucoup développée dans les pays francophones à la fin des années 70, avec le match d'impro, né à Montréal sur le modèle d'un match de hockey. L'interprétation nait de l'échange entre les comédiens, l'adversaire devient le partenaire de scène. Ce format a beaucoup fonctionné en France jusqu'aux années 2000, au théâtre de l'Unité à Paris et dans plusieurs villes où étaient organisés des week-ends de rencontres d'impro. On y a souvent participé, c'était stimulant de rencontrer sur scène un partenaire que l'on ne connaissait pas un quart d'heure avant.

Lorsqu'on a créé Impro Infini en 2004 à Brest, on a souhaité creuser la discipline, être plus exigeant, intensifier la pratique. On aspirait à varier les formes en ajoutant du fond à notre propos. Petit à petit, on s'est formé en se professionnalisant, en explorant de nouvelles choses.

Le festival est une belle proposition des différentes formes que nous explorons. On pourra les découvrir en particulier lors des Nuits de l'impro (14, 15 et 16 avril) au Mac Orlan, durant lesquelles nous formerons une "troupe passagère" avec d'autres professionnels étrangers.

Une nuit de fête mettra en scène douze personnages lors d'une soirée imprévisible inspirée de The Party. Les comédiens piocheront leur rôle et évolueront librement dans ce spectacle musical de situations burlesques.

Nous proposerons aussi d'autres clés d'entrée au jeu théâtral. Le concept d' Impro LightBox est par exemple basé sur les lumières. On quitte l'habitude d'une lumière blanche sur une scène sombre, cette fois l'éclairage sera le point de départ d'une impro, on jouera sur les différences d'ambiance. Dans La nuit dans le décor, les comédiens plongeront les yeux bandés dans les décors surprenants et contrastés du scénographe Guillaume le Quément, qu'ils découvriront au dernier moment pour improviser.

De quoi se nourrit le jeu d'un comédien?

Comme un acteur classique, il travaille sur la manière de raconter une histoire en recourant à d'autres disciplines comme la danse et la musique. Car il cherche à toucher l'essentiel, il se sert beaucoup de son corps, il gère des émotions. Les gestes, les regards ont autant d'importance que l'aisance verbale en impro. Un acteur d'impro développe aussi une capacité à s'adapter à l'inattendu. Ce qui suppose beaucoup de travail en amont sur le récit, les relations entre les personnages et la manière dont il va transmettre tout cela.

Le théâtre d'impro affectionne le rire juste et profond qui relève plus du burlesque et du jeu sincère de Buster Keaton et de Charlie Chaplin que du comique à la mécanique bien huilée par un texte écrit à plusieurs mains et dénué d'émotion.

Quels sont les thèmes abordés sur scène?

On travaille de nombreux thèmes sociétaux, comme le vivre ensemble, le travailler ensemble, l'égalité professionnelle, les discriminations. On pose beaucoup de questions et on fait en sorte que le public s'en pose justement mais on n'a pas la prétention de lui apporter les réponses. On pointe, on interpelle, on bouscule.

Lors du week-end WEA , les compagnies amateurs (et professionnelles) proposeront une vingtaine de spectacles très divers dans les formes, les durées, les styles. Un vrai cocktail d'impro pour réfléchir, pleurer et rire ensemble sur de nombreux sujets.

Comment avez-vous personnellement rencontré l'improvisation théâtrale? Qu'est-ce qui vous a motivé dans la pratique au point de vous professionnaliser?

J'étais étudiant en école d'ingénieur et je n'avais aucune pratique théâtrale. J'ai eu un déclic lors d'un tournoi d'impro, à Brest, dans les années 90, j'étais spectateur et je me suis retrouvé sur scène. Ça me démangeait! J'ai découvert que je pouvais dire ce que je voulais, interpeller, faire réagir. On peut penser que c'est un plaisir égocentrique mais c'est un forme importante d'épanouissement qui aide à développer la confiance en soi. Je ne me suis pas posé la question du talent, ça m'a plu.

Je me suis formé en me professionnalisant, en allant voir aussi ce qu'ils font à l'étranger, notamment à Chicago, «la plaque tournante de l'impro». J'ai récemment fait un stage de mime avec une assistante de Marceau, un travail passionnant sur l'instant, la vulnérabilité, la sincérité. Personnellement, j'ai la sensation de tomber des masques, des barrières de sécurité, d'aller plus à l'essentiel. J'intègre, je restitue, je partage. Dans l'impro, on cherche à s'autoriser, cela met en oeuvre un bien-être dans son corps, dans la relation à l'autre. Les improvisateurs sont des gens heureux.

Le festival Subito continue jusqu'au 16 avril, le programme en détail sur le site.

About the Author

Journaliste freelance, Marguerite écrit dans le Poulailler par envie de prolonger les émotions d’un spectacle, d’un concert, d’une expo ou de ses rencontres avec les artistes. Elle aime observer les aventures de la création et recueillir les confidences de ceux qui les portent avec engagement. Le spectacle vivant est un des derniers endroits où l’on partage une expérience collective.

 

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