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Pour la sortie DVD du film Party girl, Caméra d’Or à Cannes en 2014, coréalisé par Marie Amachoukeli, Samuel Theis et Claire Burger, nous avons souhaité interroger cette dernière, brestoise de cœur et de famille, sur une œuvre qui nous avait beaucoup touchés par son sens de la fraternité et son portrait d’une femme, solitaire et solaire, fondamentalement insoumise.

Fabien Ribery : Vous filmez des territoires (la Lorraine), des visages, des corps qu’on voit peu au cinéma, parce que là aussi peut-être la lutte des classes est une lutte concernant ce qui est visible ou non. Comment montrer au cinéma les prolétaires, déclassés, marginaux d’aujourd’hui sans les transformer en animaux exotiques avalés par le spectacle ?

Claire Burger : Nous savions que cette classe sociale était peu représentée au cinéma, ou que les visages et les corps de nos acteurs était rarement portés à l’écran. Nous avons pensé qu’ils méritaient d’être vus, d’être regardés. Nous avons pensé aussi qu’ils étaient capables et avaient le droit de « s’auto-représenter ». Mais il n’y a pas de méthode qui permette d’être plus juste ou plus légitime pour montrer au cinéma les prolétaires, des déclassés, des marginaux, ou des êtres humains en général. A chaque instant se posent des questions éthiques, quelle que soit l’approche du cinéaste. En documentaire comme en fiction. Avec des acteurs professionnels ou non. Nous avons tenté d’être exigeants avec nous-mêmes. Nous avons surtout tenté d’être honnêtes, sincères, bienveillants et respectueux. Nous avons filmé des gens que nous aimions, et nous avons voulu les filmer avec amour. Nous ne voulions pas avoir un rapport d’entomologistes aux gens ou au milieu que nous avons filmés. Nous voulions les filmer à hauteur d’homme. Nous avons travaillé avec nos proches, en nous inspirant de ce qu’ils sont, en essayant de leur rester fidèles, de leur rendre justice, mais en sachant aussi à tout instant que nous portions un regard sur eux. Un regard subjectif. Et le fait de faire un film, de mettre en scène leur vie, nous donnait une responsabilité quant à la question de leur image. Nous avons essayé d’être à la hauteur de cette responsabilité. Pour autant, toutes les questions n’ont pas trouvé de réponses. Il y a quelque chose d’étrange dans le fait de filmer des gens, de les donner à voir, et ce que ça déclenche échappe en partie à notre contrôle.

En revoyant votre court métrage Forbach (2008), je me suis dit qu’il contenait en germes des problématiques que développe Party Girl, comme s’il en était la matrice : la dichotomie Paris/Province, garder son accent ou pas, l’émancipation intellectuelle (qu’incarne en outre le personnage joué par Samuel Theis, d’une beauté moins sauvage que celle des êtres de sa famille restés dans leur milieu d’origine), ou non, les rapports dans la fratrie, le lien mère-fils, l’addiction (à l’alcool, à la fête). Qu’en pensez-vous ?

Forbach est effectivement à l’origine du projet de Party Girl. En tout cas, l’idée de parler de la Moselle et de cette classe populaire à travers cette famille est née là. Celle de faire jouer à certains comédiens leur propre rôle, de ne travailler qu’avec des non-professionnels, de s’inscrire dans un hyperréalisme qui emprunte au geste documentaire. Mais Party Girl, c’est d’abord et avant tout l’histoire d’Angélique. Forbach se concentrait davantage sur le personnage de Samuel et de son frère Mario. Pour moi, à l’époque, il s’agissait de questionner ce qui permettait à un des frères de s’en sortir quand l’autre sombrait, alors que tous les deux sont issus du même milieu, de la même famille, de la même région. La fête, l’alcool, c’est l’univers du personnage secondaire, Angélique, que nous avons voulu plus tard développer dans Party Girl.

Angélique, désormais votre personnage principal, est une femme de la nuit, une entraîneuse, ne parvenant pas à trouver sa place parmi les habitants du jour. Cherche-t-elle à rester une femme libre ? Quel pourrait être d’ailleurs le sens de cet adjectif ? La persistance d’un désir de fond, au risque de la cruauté ?

Angélique est une femme qui ne peut pas se laisser contraindre, enfermer. En cela, elle est libre. Mais c’est moins un choix qu’une « nature ». Le film l’accompagne dans ses tentatives de composer, d’accepter des compromis, et finalement dans son incapacité à le faire. Il ne la juge pas. Ne décide pas ce qui est bien ou mal. Nous ne voulions pas prendre de parti-pris moral. Le film pose des questions, il ne prétend pas y répondre. Une de ces questions est celle du coût de la liberté. Pour Angélique et pour ses proches. Angélique est radicale, extrémiste. Elle peut paraître cruelle ou égoïste, mais elle doit sacrifier des choses pour être entièrement libre. La solitude est peut-être le prix de cette liberté totale.

Y a-t-il eu de la part de l’actrice qui incarne ce personnage un important travail de composition ?

Non. Angélique joue la comédie, les séquences sont écrites, mais elles sont écrites sur mesure, pour elle. Le personnage qu’elle incarne est très proche de ce qu’elle est. Bien sûr, parfois, il a fallu qu’elle joue des choses, des réactions qu’elle n’aurait pas tout à fait eues dans la vie. Mais on ne peut pas parler de rôle de composition. C’est plus le cas par contre pour Joseph Bour qui incarne Joseph.

Comment dirigez-vous vos acteurs pour parvenir à une telle impression de vérité ?

Nous ne leur donnons pas le texte. Nous leur expliquons la scène à jouer, les enjeux pour leurs personnages. Nous leur donnons des précisions, des indications au fur et à mesure de la prise, en recadrant petit à petit leur improvisation pour être au plus proche de ce que nous avions initialement écrit. L’idée c’est qu’on cherche et qu’on retrouve la scène ensemble. Sans qu’ils intègrent de ligne de texte pour qu’ils conservent leur façon de parler, leur spontanéité. Il y a ensuite beaucoup de montage, c’est là que nous reconstituons véritablement la scène, et que nous finalisons la direction d’acteur.

Faites-vous beaucoup de prises ?

Oui. Beaucoup de prises. Peu ou pas de répétitions.

Les dialogues sont-ils très écrits ?

Les dialogues sont écrits, pour nous, pour les gens qui travaillent avec le scénario, mais nous savons qu’ils ne seront jamais joués exactement comme nous les avons imaginés.

Comment éviter les pièges du sentimentalisme ?

Nous avons beaucoup travaillé pour qu’il y ait de l’émotion dans le film, mais nous avons essayé de ne jamais verser dans le sentimentalisme. Ça se joue à beaucoup d’endroits. La teneur d’une séquence, une valeur de plan, ou la durée d’un plan. La question, à tous les instants pour un réalisateur, c’est de savoir s’il en fait trop ou pas assez. Au scénario, au tournage, au montage. Sur la question de l’émotion, ce « trop » ou « pas assez » est particulièrement difficile à travailler. C’est très subjectif ce que l’on peut ressentir en tant que spectateur quand on nous propose une séquence d’émotion. Pour certains spectateurs, une séquence peut être ressentie comme violente ou impudique. Pour d’autres, elle peut ne pas aller assez loin. Alors que certains vont trouver très justes, ou très émouvantes des situations, d’autres les trouveront trop appuyées. Nous étions trois réalisateurs, avec trois sensibilités différentes. Nous avons essayé de trouver le bon équilibre, à chaque fois que la question se posait. Laisser venir l’émotion, les larmes par exemple, couper avant qu’on ne s’installe dans un confort ou une complaisance.

On peut penser dès les premiers plans de Party Girl à Too Much Pussy d’Emilie Jouvet (2010), documentaire suivant au jour au jour sept performeuses spécialisées dans le show burlesque, ou même à Tournée de Mathieu Amalric, pour le versant fictionnel.

Oui. A Meurtre d’un bookmaker chinois de Cassavetes, nous a-t-on dit aussi. Comme ces films, nous avons situé notre histoire dans un univers où la séduction est un spectacle, un commerce. Mais aussi une façon de communiquer de la tendresse et de l’affection, ou encore, un moyen pour certaines femmes de s’exprimer.

Vous êtes un trio de réalisateurs. Comment se déroulent les prises de décisions ? Chacun a-t-il une tâche spécifique à accomplir ?

Nous ne nous sommes pas à proprement parlé répartis les tâches. Nous partagions la même autorité dans tous les domaines, sur chaque prise de décision.

Quelles étaient les contraintes de la production ?

C’était un film à petit budget. Il fallait faire beaucoup avec peu. L’équipe a donné énormément en énergie, en investissement. Les acteurs aussi.

Le film est-il vu à l’étranger ? Y a-t-il des réactions de spectateurs qui vous étonnent particulièrement ?

Le film a beaucoup tourné dans les festivals étrangers et s’est vendu dans une vingtaine de pays. On note que dans les pays les plus libéraux, c’est la question de la liberté d’Angélique qui marque le plus les spectateurs. Ils trouvent souvent la fin du film très positive. Ils sont soulagés pour elle, elle n’est pas amoureuse, il est donc important qu’elle quitte Michel. Dans des pays plus conservateurs, où la famille est une valeur fondamentale, Angélique est parfois jugée plus durement. Et la fin du film apparaît plus triste aux spectateurs.

Que préparez-vous en ce moment ? Ecrivez-vous un scénario ? Encore un projet à trois ?

Marie et moi avons réalisé des films ensemble, mais aussi séparément avant Party girl. Pour Samuel, Party Girl était une première réalisation. Nous n’avons été un trio à proprement parlé que sur ce film. Nous avions et avons encore des projets chacun de notre côté. Aujourd’hui, nous travaillons chacun sur des projets en collaboration avec d’autres personnes. Pour ma part, je travaille actuellement à l’écriture de mon prochain long métrage.

About the Author

Agrégé de lettres modernes, chargé de cours à l'Université Bretagne Ouest, dont les recherches concernent notamment la littérature contemporaine. Journaliste free lance.

 

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