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Operation Correa, un film de Pierre Carles – libre de droits sur l’Internet

La Gauche française est-elle une espèce en voie de disparition ?

L’idée de révolution est-elle devenue comique ?

Les politiciens de profession, emmurés dans la novlangue et les procédures technocratiques, nous désespèrent-ils de la politique ?

Toute beauté véritable ne réside-t-elle désormais que dans les interstices d’un monde saturé d’économisme, de calculs sécuritaires et de discours identitaires rances ?

En 2017, nous voterons peut-être, ou plus, ou toujours pas, les yeux douloureusement ouverts sur nos rêves de fraternité inconditionnelle. Et nous nous recroquevillerons un peu plus encore d’avoir perdu, en atteignant l’âge adulte, ce qui rendait précieuse notre destinée, la croyance en un monde meilleur.

La planète se réchauffe, nous vivons pourtant une ère glaciaire.

Tous pourris ? Certainement pas. Plutôt piégés par les petites compromissions ordinaires du social-démocrate défendant son bien (si vous rayez ma voiture, j’envoie les chiens avant de vous gazer), les prébendes, et surtout le manque d’imagination, qui est poésie active.

Le cœur de la cité est simplement le cœur des hommes. Parlez donc au cœur, non aux ressentiments, qui vous rendent laids.

Tolérance zéro ? Oui, contre les donneurs de leçon adeptes de la moraline. Tabac, sexe, alcool, vitesse, déviance de toutes sortes, Mesdames et Messieurs les jouis-la-loi, laissez-nous la liberté d’errer encore un peu loin de vous.

Baissée de rideau ? Non, les jeux ne sont pas faits.

Du laboratoire des ZAD (en Loire-Atlantique, dans le Tarn, dans le Val de Suse) à l’invention de communes nouvelles - donnons-leur le nom générique de Tarnac – la politique se réinvente. Elle passe par l’insurrection des corps, qui est une révolte de l’esprit.

En Amérique latine, le peuple reconquiert ses droits, mené par des hommes d’Etat (Hugo Chavez, Evo Morales) ayant choisi le rapport de force pour défendre les droits élémentaires de justice et d’égalité contre le pouvoir omnivore du capital.

Il y a peut-être de la naïveté dans cet éloge de régimes forts, mais je la préfère aux certitudes de qui oublie qu’une part grandissante de notre malheur relève de la mise en place forcenée de logiques néolibérales parées du prestige de l’irréfutabilité scientifique – l’autonomie du marché comme horizon indépassable de notre temps, cette mauvaise blague - et qu’il est un profit pour la droite extrême.

En novembre 2013, le président équatorien Rafael Correa est venu en France nous mettre en garde contre la nocivité de l’idéologie de la dette - essentiellement illégitime, du fait de taux d’intérêts exorbitants réclamés par des prêteurs privés, hommes liges de la Banque centrale européenne, absurdement, c’est-à-dire très consciemment, favorisés - imposant aux Etats une réduction drastique de leurs dépenses, véritable non-sens économique, mais qui l’a su ?

Des économistes non orthodoxes s’indignent – Bernard Friot, Michel Husson, Jean Gadrey – prouvant (voir le documentaire en ligne On a mal à la dette) que la dette française d’environ 20 000 milliards d’euros est illégitime à 59% (et si, à l’instar de l’Equateur, nous demandions un audit de celle-ci ?), remettant de surcroît en cause de façon définitive l’article 123 du Traité de Lisbonne (obligation scandaleuse faites aux Etats de se financer auprès de banques privées).

A la Sorbonne, puis à Genève, Rafael Correa déclare, charismatique : « L’Europe endettée reproduit nos erreurs. » Les baisses de charges fiscales faites au patronat afin de créer des emplois ? De l’argent évaporé dans les paradis fiscaux alimentant la spéculation mondiale. La flexibilité du travail ? De l’exploitation des travailleurs. Des dépenses publiques ? Non, plutôt de la production non capitaliste. Le FMI ? Ne surtout pas suivre ses conseils, puisqu’il amplifie la crise plus qu’il ne la corrige. Le concept d’étranger ? Il faut l’abolir. Les centres de rétention ? La honte de l’Europe. Le but de l’économie ? Satisfaire les nécessités humaines. La terre Mère ? Lui accorder des droits. La Constitution ? Elle doit garantir la stabilité monétaire par l’indépendance de la banque centrale.  La presse ? Interdire à une banque de posséder une chaîne de télévision, ce qui n’est pas du tout museler la liberté d’expression – le cybermilitant australien Julian Assange n’est-il pas depuis juin 2012 accueilli, protégé, par l’ambassade d’Equateur à Londres ?

Dans un documentaire concernant le silence assourdissant des médias quant à la politique menée par le président équatorien (appelée « socialisme de bien-être »), Pierre Carles, spécialiste du genre – on pourra revoir Pas vu pas pris, libre de droits, comme l’ensemble de ses autres travaux, sur l’Internet -  mène l’enquête auprès de différents responsables de chaînes télévisées ou de radios.

Pourquoi ne pas avoir informé de la venue de Rafael Correa dans notre pays ? Réponses : son discours est trop subtil pour le temps court du traitement médiatique, ce serait injure que de le dénaturer, vous comprenez ; il fallait faire des choix, et l’Equateur, c’est loin, peu vendable, vous comprenez ; on ne donne pas à boire à un âne qui n’a pas soif, vous comprenez, vous comprenez, vous comprenez.

Parmi ces paroles édifiantes (Palme d’Or de la mauvaise foi décernée à l’unanimité à Ivan Levaï, de France Inter), la prise de position de Patrick Bèle, journaliste au Figaro, certes syndicaliste, fait figure d’oasis dans le désert : nous évoquons Rafael Correa parce que la situation économique de son pays (merci tout de même au pétrole) est bonne, et que nos lecteurs cherchent des pays où investir – ce qui aura au moins le mérite de l’honnêteté.

Elu avec 57% des voix à 43 ans en novembre 2006 – la plupart de ses ministres n’ont pas 35 ans – Rafael Correa n’aura eu de cesse de rétablir la souveraineté de son pays face aux multinationales, de mettre en place des programmes de redistribution ayant fait chuter le taux de pauvreté, d’accroître de façon exemplaire le budget consacré à la santé et l’éducation, tout en développant un pôle universitaire d’excellence. Ayant mis en place un ministère de la planification, l’Equateur, par la construction de barrages hydroélectriques, tend également à s’assurer une autosuffisance énergétique, et à chasser les rapaces.

Mais, bien entendu, le président équatorien n’est pas exempt de critiques. Auréolé du mythe latino-américain de l’homme providentiel, souhaitant peut-être plus que de raison persister au pouvoir, s’en remettant peu aux corps intermédiaires, Rafael Correa est un catholique traditionnaliste opposé farouchement au droit à l’avortement – son pays compte cependant sous son impulsion plus de 40% de députés femmes. Ayant favorisé par l’augmentation du niveau de vie général de sa population l’émergence d’une classe moyenne puissante, le président nourrit de façon inattendue la part croissante d’une classe  sociale ayant tendance à voter à droite. Mais l’expérience en cours est passionnante.

Autofinancé à hauteur de 50000 euros grâce à la générosité de 13000 donateurs, que les précédents films de Pierre Carles avaient très certainement séduits par leur pertinence de points de vue (Attention, danger travail, Volem rien foutre al païs, Pierre Bourdieu, la sociologie est un sport de combat), Les ânes ont soif - projeté en Equateur à la fin  du mois de mai, dans le cadre du festival EDOC - est le premier volet d’un film (en accès libre sur l’Internet, rappelons-le) conçu en plusieurs volets et devant prendre fin en 2017, afin de nourrir, par le prisme du « miracle équatorien » (un feu de paille ?) le débat politique français à l’approche des élections présidentielles.

Le deuxième épisode ? « Il est… sous-financé. Nous repartirons en juin en Equateur, avec Nina Faure, Annie Gonzalez et Thomas Loubière, pour tourner le film. Nous avons tourné quelques images lors du repérage effectué en mars dernier », m’annonce Pierre Carles. Sa forme ? « Comme une série performative : raconter une histoire pour qu’elle se produise. » Et la réaction de la classe politique française ? « Nous avons été contactés par un élu. Il s’agit d’un homme politique relativement connu dont on ne s’attendait pas forcément à ce qu’il manifeste un intérêt pour cette histoire. Il fera peut-être une apparition dans le 2° ou 3° épisode ».

Au cinéma les Studios de Brest, lors de l’avant-première de ce documentaire en avril dernier, il y avait tant de spectateurs que celui-ci fut diffusé simultanément dans deux salles.

Nous avons soif d’espoir politique, et nous savons s’il le faut nous réunir en nombre.

Même s’il suffit d’être douze.

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Agrégé de lettres modernes, chargé de cours à l'Université Bretagne Ouest, dont les recherches concernent notamment la littérature contemporaine. Journaliste free lance.

 

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