By

crédit photo : Julie Lefèvre

Leonor Canales est comédienne, auteur et metteur en scène. Elle dirige la compagnie À petit pas.

Une sacrée boucherie est une pièce d’Emmanuelle Laborit et de Pierre-Yves Chapalain. La pièce était programmée au Quartz, scène nationale de Brest, du 14 au 16 janvier 2015.

Une Sacrée Boucherie nous emporte dans l’univers du Guignol à taille humaine.

Avec les trois « S » comme principe fondateur du jeu : Sang-Sueur-Sperme !

Et nous avons en retour ces trois « S » découpés et dépaysés par le langage des signes comme un scalpel ouvre la chair d’un malade.

Emmanuelle Laborit et son équipe nous embarquent dans un huis clos familial digne des plus grands films d’horreur. Mais là, c’est du théâtre ! Du théâtre qui touche directement les sens et l’inconscient. Qui trouble nos repères habituels sans avoir besoin d’un grand artifice de lumières, de vidéos… Oui du sang, il y en a jusqu’à l’excès. Ça déborde, ça clique, c’est excessif, mais c’est juste dans cette exacerbation de notre « monstruosité »!

L’histoire est celle d’un couple qui veut fuir la malédiction qui a toujours été là, sur leur famille, comme une épée de Damoclès. Où il est question de mort à répétition.

Nous voici donc face à une tragédie moderne et rurale. Ça se passe dans une boucherie, celle d’un petit village qu’on pourrait très bien imaginer dans les Monts d’Arrées ou en Corrèze. Pour aller contre cet héritage, ils décident de ne pas avoir d’enfants mais d’en adopter un qu’ils élèveront comme leur fils. Puis la mère tombe enceinte et accouche de triplés.

On croit comprendre que l’enfance se passe, avec toujours dans le visage de la mère cette peur du renversement de situation. Et reversement il y a - et plus que ça, virement, chute, délire, inceste, assassinat ! Ce qui devait arriver arrive ; le fils adoptif tombe amoureux de sa sœur et tout s’enchaîne, la folie du père, l’inceste, déjà présent mais jeu secret des triplés, puis la mort du fils adoptif, tué par le père qui dans une crise de folie le confond avec un cochon !

Sacré carnage auquel nous sommes conviés, nous gentils spectateurs venus voir, surtout, la grande Emmanuelle. Qui d’ailleurs nous éblouit par son jeu sensuel, animal, sa présence puissante et rare. Et la force avec laquelle elle campe son personnage, tout en finesse, tout en violence. Ses acolytes sont tous aussi d’une grande intensité de jeu, aggravé et mise en valeur par le récit et la beauté de la langue des signes.

Qu’est-ce qu’ils veulent nous dire ?

Bien évidement, nous pensons à la violence de ces jours. Bien évidement, nous pensons à la violence de tous les jours que les médias nous donnent à voir en pâture. Mais qu’on ne voit plus à force de trop voir.

Voir, donner à voir cette violence et jouer avec. La violence de nos rapports, la complexité de nos liens de famille, d’amour…Ce moment où tout et n’importe quoi peut franchir, tomber de l’autre côté !

Ce spectacle nous oblige à nous questionner sur ce qui nous constitue, sur ce dont nous avons hérité – ou pas. Il est également question de pulsion, de soif, de jouissance, de vacarme. Et de langage, bien évidemment !

Et là le public (je parle des entendants) découvre la justesse du langage des signes. Langage concret et sophistique à la fois. Pur et lyrique ! Etrange et si proche ! Et nous rêvons nous, les entendants, si engourdis avec nos mots, avec nos corps et nos visages enfermés dans des camisoles des forces. Nous nous réjouissons de ressentir par les sens, et non par l’intellect, ce qui est dit et comment c’est dit à travers la langue des signes.

Je regrette la voix off, qui nous raconte le récit. Personnellement j’aurais préféré quelques sous-titres pour ne pas être perdue, mais pas de son. Au contraire, entendre leurs gémissements, le souffle de la main qui signe !

Je finirai par l’évocation de mon ressenti concernant un moment particulier de ce spectacle. Quand la sœur et le frère adoptif vont pour la première fois consommer l’acte sexuel :

Ils nous/se racontent ce qu’ils vont faire, comment ils vont le faire, ce que l’un désire, ce que l’autre désire (là il n’y a plus de bande son, que les gestes, leurs corps, leur langue).

J’ai senti à ce moment un sursaut dans la salle, un temps d’arrêt et de dégoût puis un relâchement. Comme un consentement… puis un souffle chaud, et sûrement une érection commune et salvatrice !

De la beauté et de la monstruosité à la fois !

Humain !

About the Author

 

Leave a Reply