Asor est un trésor

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Christophe Blanchard, Les maîtres expliqués à leurs chiens, La Découverte, 2014, 158p
Rencontre avec l’auteur le samedi 29 novembre à 15h à La Petite Librairie, place du Marché Saint Martin, Brest.

Savez-vous que Rintintin, le célèbre chien hollywoodien, est enterré à Asnières, non loin de Moustache, ce brave quadrupède adulé par les soldats de Napoléon ?

Avez-vous suffisamment pris conscience des enjeux sociopolitiques du binôme homme/chien ?

Que pensez-vous de la proposition de taxe sur les canidés de l’ex-Premier ministre Jean-Pierre Raffarin ?

Et de la fédération Gamelles Pleines, qui « lutte contre l’exclusion sociale de personnes en situation de précarité en les aidant à garder, nourrir et soigner leur animal de compagnie » ?

La lutte des classes ne se double-t-elle pas d’une lutte des races sur le marché canin ?

La laisse n’est-elle pas le symbole même de la dialectique hégélienne, le tenant étant aussi le tenu ?

Le répulsif Malodor est-il en vente libre dans les mairies de quartier ?

Qu’est-ce qu’une « société anthropo-canine convenable » ?

Vous souvenez-vous de Loukanikos et Kanellos, ces deux klebs apparus en 2008, symboles d’une Grèce insoumise ?

La croquette n’est-elle pas une mine d’or pour des multinationales telles que Nestlé, Colgate et Mars ?

Issu d’une thèse de doctorat, Les maîtres expliqués à leurs chiens est un formidable petit livre où vous saurez tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les chiens, en sept chapitres (« Le chien-marchandise », « Le chien, une question politique ? »…), une introduction alerte et une conclusion (un peu sèche), formulée sur un ton n’ayant nul besoin de se prendre au sérieux pour être pertinent, pour ainsi dire brestois.

Si René Girard est cité – la rivalité mimétique entre possesseurs de toutous et la construction du chien de rue comme bouc émissaire – Christophe Blanchard rappelle régulièrement l’importance du terrain, des « enquêtes », du recueil des témoignages des « informateurs » un peu partout en France, et surtout en Bretagne.

Maître de conférences à l’université Paris 13 – Brest où il commença ses études n’a pas su le garder – doublé d’un maître-chien diplômé (serait-ce l’inverse ?), Christophe Blanchard, dans cet essai de sociologie canine, vise à remettre quelques pendules à l’heure, notamment en ce qui concerne la stigmatisation des « punks à chien », tout en faisant le portrait de notre société par le prisme de nos cabots (30 millions de pattes tout de même).

Réflexion d’une assistante sociale : Mais pourquoi diable prennent-ils donc des chiens, les zonards n’ont-ils pas assez de problèmes comme cela ?

Publié par Grégoire Chamayou – on se précipitera sur Les corps vils, Les chasses à l’homme, Théorie du drone, trois livres passionnants – dans son « label » (comme ce terme est horriblement communicationnel) des éditions La Découverte intitulé « Zones », le lecteur sera très certainement sensible à la défense en ces pages (on songe au travail remarquable de Patrick  Declerck) des naufragés de la rue (chapitre «Chiennes de vie»), pour qui le chien est bien souvent l’une des dernières raisons de ne pas désespérer totalement, une bouée, un repère : «Loin de l’image d’individus irrationnels qu’on essaie de nous présenter, les propriétaires de la zone sont, en réalité, des techniciens canins actifs et particulièrement adroits, qui ont appris au fil du temps à bricoler des réponses alternatives aux problèmes posés par la rue.»

Moins un livre d’écrivain, qu’un livre d’écrivant en sciences humaines, maniant la langue avec soin, précision, humour («la quête à la croquette gratos», le basset de l’inspecteur Colombo), ce qui est beaucoup, Les maîtres expliqués à leurs chiens insère au sein des chapitres images éloquentes, involontairement surréalistes (la carte postale «Le molosse teuton par nous sera dompté») ou bouleversantes (une jeune femme mélanésienne couverte de tatouages allaitant des chiots), et encarts purement documentaires sur «la fourrière», «la naissance des chiens policiers» ou des thèmes aussi nécessaires que «le chien aide-t-il à draguer ?» (oui, indubitablement).

S’il est avéré que le chien que nous choisissons nous ressemble, opterons-nous alors pour un berger malinois, pitbull, Terre-neuve, braque, griffon, dogue argentin, mastiff tibétain, Thai bangkaew dog, tamaskan, malamute, berger australien, Jack Russel, colley, barzoï, bouledogue, grand danois, Loulou de Poméranie, pinscher, rottweiler, beauceron, teckel, briard, beauceron, bichon maltais, chien d’eau portugais, lévrier afghan, épagneul breton, husky, bull-terrier, amstaff, parsons russel, caniche, labrador, yorkshire, fox-hound, beagle, patou, border collie ?

Quel sera le visage de notre compagnon à quatre pattes ?

Que diront les voisins ?

On pouvait ramasser en 2002 dans les rues de Quimper ce tract : «Les clodos, leurs chiens, leurs ordures… Nous n’en voulons pas dans les jardins du Théâtre à côté de la crèche de nos enfants, à 100m de la… Police».

Charlie Chaplin court encore.

Clébarde de vie !

About the Author

Agrégé de lettres modernes, chargé de cours à l’Université Bretagne Ouest, dont les recherches concernent notamment la littérature contemporaine. Journaliste free lance.

 

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