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Concert avec partitition

Sur la scène, quatre pupitres. Leur présence a toujours quelque chose d’inquiétant dans un concert de jazz. La musique de Marc Ducret est en effet exigeante, et cela se sent dans la tension palpable entre les musiciens et leur partition. Ils semblent tendus les uns vers les autres, plutôt que vers le public. Puis Marc Ducret parle. Il parle de comment il écrit. Il parle des conditions dans lesquelles il a fallu composer les morceaux. Pour qui sait lire entre les lignes, on devine qu’il évoque avec pudeur l’urgence matérielle qui régit la vie des musiciens. Il parle des promenades sur la côte, il parle de Carantec. En général, quand un musicien explique le processus de création, c’est un aveu d’échec, un constat de la non-évidence du résultat. Et puis les musiciens entament le morceau Presqu’île.

Écriture syncrétique

Le départ du morceau, c’est le départ du voyage: la lenteur contraste avec l’esprit presque funk de la section de cuivres. Techniquement, d’ailleurs, le saxophone fait étrangement partie de la famille des bois. Celui de Frédéric Gastard fait sans doute partie de la famille des bois flottés, ceux qu’on trouve sur la côte, encore chargé du rythme de la houle, toujours plus puissante lorsqu’elle est lente que hachée. La trompette de Sylvain Bardiau répond au trombone de Mathias Mahler, et on pense à des oiseaux de mer. Pour qui sait voir entre les sons, les accords enrichis de Marc Ducret viennent parfaire les images mentales qui se forment. Des plages, des bleus, des gris, des embruns.

Tension, détente

Les applaudissements sont plus chaleureux, le concert a vraiment démarré. Marc Ducret profite de cette détente pour nous entraîner un peu plus loin dans son écriture. Pour qui sait entendre entre les notes, il y a des traces de musique sérielle, de musique dodécaphonique dans la partition, comme si l’autodidacte Marc Ducret cherchait à rapprocher le jazz et la musique contemporaine «savante». Et lorsque l’attention qu’exige l’écriture pourrait faire naître la fatigue, Frédéric Gastard fait vrombir son saxo basse, le son devient percussif; la main droite de Marc Ducret gratte les cordes de sa guitare, elle les frappe, et on ne remarque plus l’absence de basse, de batterie. L’ingénieur du son fait son possible pour éviter la saturation de l’espace sonore, et malgré quelques pressions acoustiques, c’est un des meilleurs équilibres qu’on ait connu au Vauban. Entre les parties très écrites, Marc Ducret laisse aussi de la place à l’improvisation. Les personnalités plus joueuses des autres musiciens équilibrent alors la rigueur parfois un peu torturée du meneur. Tension, détente, comme le mouvement des marées.

Jouer dehors

Le morceau suivant commence par un tour de force: les musiciens renversent l’attaque de leurs instruments et le morceau semble joué à l’envers, en direct, c’est à la fois déroutant et très impressionnant. Au sens premier du terme : spectaculaire. Lorsque le morceau repart à l’endroit, les vents ont un faux air de Quincy Jones. Tension, détente, comme la respiration. Sur ce paysage harmonique particulier, qui peut faire penser au jazz funk des années 90, Marc Ducret s’amuse à jouer «out». Littéralement, «jouer dehors». Il s’agit de sortir de l’harmonie du morceau, de jouer en dehors de la gamme, et d’y revenir juste avant que l’oreille ne refuse la dissonance. Une sorte de un-deux-trois… soleil! du soliste.

Ecrire entre les lignes

Il y a beaucoup de choses écrites dans ce concert, et beaucoup de choses à écrire. Les signes de tête, les «1,2,3,4!» lancés les yeux dans les yeux montrent qu’il reste des espaces de liberté. Bien sûr on aurait aimé, enfin, j’aurais aimé, que certains des thèmes puissent être retenus, qu’on puisse les emporter avec soi, les siffloter en sortant du concert. Et c’est ce qui destine un peu cette musique à être appréciée en concert plutôt que chez soi. Elle vit avant tout par la présence des musiciens, comme si Marc Ducret et ses acolytes du trio Journal Intime avaient décidé, pour que personne ne puisse vraiment posséder leur musique, d’écrire aussi entre les lignes.

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