Carré d’as pour la rencontre ARCH #1

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La liberté apportée par les samplers a permis à une génération de one-man band de nous faire presque oublier que la musique est une histoire de rencontres. Le dispositif ARCH pousse la logique à l’extrême : il vise à faire jouer ensemble, sur scène, des artistes qui se rencontrent pour la première fois.

Double paire

Pour cette première rencontre ARCH d’Atlantique Jazz 2014, il s’agit d’une double paire. Sébastien Boisseau à la contrebasse et Alban Darche au saxophone représentent le label nantais Yolk, Grégoire Hennebelle au violon et Nicolas Pointard à la batterie appartiennent à l’ensemble de jazz brestois Nautilis. Dès le premier morceau, on prend plaisir à voir les alliances se croiser. La longue montée en gamme brisée du violon accompagne la descente crépusculaire et souvent chromatique du saxophone d’Alban Darche. De l’autre côté de la scène, la section rythmique développe une complicité naturelle, la contrebasse de Sébastien Boisseau est souvent à l’initiative de l’installation de la pulsation, et la batterie de Nicolas Pointard accompagne, renforce, puis reprend la main en souriant.

L’éternelle boiterie du free-jazz

Lorsqu’on joue ensemble pour la première fois, sans filet, sans même se caler sur la reprise de standards, il faut un certain temps pour que la résonance se mette en place. C’est l’éternelle boiterie structurelle du free-jazz : les morceaux commencent toujours par une montée où l’on se cherche, puis, après des montagnes russes, plus ou moins heureuses selon l’écoute et la complicité des musiciens, on s’écoute pour installer une descente qui finit souvent comme un effilochage progressif. C’est un peu le cas sur les premiers morceaux, et parfois, un regard permettrait d’apporter des conclusions plus dynamiques.

De l’écoute, de la virtuosité, mais trop peu de surprise

Le paradoxe d’avancer sans filet, sans même un thème à s’échanger d’un instrument à l’autre, c’est que les musiciens ne peuvent se lâcher autant que sur des morceaux déjà répétés. Comment prendre le risque de partir sur une mélodie précise si les autres ont mis un pied dans une harmonie différente?
Pour éviter les intervalles de notes qui signeraient un accord sans négociation préalable, on saute de quartes en secondes, et les dissonances sont celles dont on a hélas l’habitude dans ce genre de défi musical.

Musique et recherche-action

On peut reprocher au jazz contemporain de faire des albums trop peu accessibles, trop théoriques, d’exhiber les processus de recherche, comme un peintre qui n’exposerait plus que ses esquisses. Mais ce qui est gênant sur la platine CD du salon peut être touchant dans l’intimité de la salle du CLOUS. On saluera au passage la précision du travail de l’ingénieur du son car l’ambiance sonore est enveloppante, dynamique, équilibrée. Ce confort et l’agréable impression d’assister à la musique en train de se faire permettent d’accepter l’effort que demande la prestation, toujours à la frontière de la recherche action. Mais pas seulement.

« Ils ont tendance à partir en 4-4 ! » et c’est ça qui est bon!

A la sortie du concert, des amateurs notent qu’à plusieurs moments, la section rythmique a pris le chemin du binaire, du 4/4 (Poum-Tchac, Poum-Tchac), plutôt que la tradition ternaire du jazz et de la valse (Poum-Tchic-Tchac, Poum-Tchic-Tchac). Et ce sont ces moments de simplicité qui auront été les moments de grâce de la rencontre : le plaisir s’invite lorsque la technique s’efface. La sophistication des cymbales frottées à l’archet fait place à la volupté immédiate des mains qui frappent ou caressent les éléments de la batterie; la basse installe un motif enfin répétitif, à peine deux ou trois notes; le saxo et le violon jouent les contre-emplois, renforcent la sensation rythmique et enfin, à l’écoute s’ajoutent les regards. La double paire devient un carré. Un carré d’as, bien entendu.

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