Letzlove Portrait(s) Foucault a été représenté au Quartz du 25 au 27 avril 2017. Ce spectacle, adapté par Pierre Maillet de l’ouvrage de Thierry Voeltzel Vingt ans et après, paru en 1978, puis réédité en 2013 aux éditions Verticales, relate la rencontre, trois ans auparavant, de celui qui était encore un jeune homme et celui qui est déjà un immense philosophe, Michel Foucault. Ce dernier est curieux de tout, s’intéresse aux moindres précisions de la vie et de la vision des choses de Thierry Voeltzel, et notamment à son regard sur sa génération et ses luttes, ses engagements: la révolution, le sens du travail, le rôle des drogues, les sexualités – entre autres. Il lui propose de réaliser une série d’entretiens, puis de les publier, sans révéler qu’il est son interlocuteur.
À partir de ce dispositif littéraire, le metteur en scène Pierre Maillet, qui incarne Michel Foucault, propose un dispositif scénique sobre duquel surgissent tour à tour la relation entre le philosophe et le jeune homme, le portrait d’une époque, le récit d’une jeune vie. Comme dans l’ouvrage, la position de Thierry Voeltzel (remarquablement incarné par Maurin Olles) est centrale : c’est de lui, de sa génération qu’il est question. Pour autant, en écoutant la manière dont Foucault tisse sa relation avec lui, on en apprend beaucoup sur son regard, son intérêt pour autrui, sa curiosité insatiable.
Entretien avec Pierre Maillet
Qu’est-ce qui vous a convaincu, en lisant le livre d’entretiens, d’en faire un spectacle ?
J’ai eu connaissance de cet ouvrage quand il a été réédité, en 2013. Je suis sensible aux portraits, à l’accès aux personnes de cette manière directe et généreuse. Le principe de l’entretien m’intéresse beaucoup au théâtre, car ce genre pose la question de l’incarnation. Par le biais de l’acteur, on a un accès direct à une personne.
J’ai lu ce texte parce que les thématiques m’intéressaient, parce que Michel Foucault est une personne importante, j’ai eu l’impression que, par le biais du livre, on avait accès à un Foucault qu’on ne connaissait pas. Je savais qu’il allait vers les gens, qu’il était citoyen, mais je n’avais jamais lu de trace de cette démarche citoyenne qui consiste à faire parler quelqu’un. Je me suis dit que ça pouvait être très beau sur scène car on pouvait avoir une façon généreuse et simple d’entrer dans la complexité de sa pensée, par le biais de ce jeune homme incroyable, qui à vingt ans est engagé, souple, libre. On sent que Foucault est fasciné : il pourrait surplomber l’entretien, être brillant, et on voit quelqu’un de très curieux face à un anonyme qui a trente ans de moins que lui. Tout est beau : et la relation et le contenu de leur échange. Ils font le tour de tout.
Comment avez-vous conçu le dispositif scénique de votre spectacle ?
Pour le spectacle, j’ai souhaité reprendre le dispositif même de l’entretien : j’ai eu l’intuition d’une forme théâtrale qui se devait d’être extrêmement simple, pour que soient sensibles la confiance, la joie du partage.
On a quatre bandes d’entretien, j’ai suivi ce découpage, avec des noirs qui signalent la fin des cassettes audio. Rien n’exclut qu’entre deux bandes, il y ait des secrets.
Le spectacle reprend donc le texte dans sa linéarité ?
Oui, mais pas dans son intégralité qui aurait pris quatre heures et demi. L’ouvrage comporte la retranscription exacte de tout, y compris la mention des rires, des silences. On a un matériau de théâtre, et il faut veiller à ne pas le transformer en une conférence. L’enjeu pour nous est d’être à l’aise et de mettre à l’aise le public, de l’englober, l’inviter à penser et même à intervenir.
Pour cela, il ne fallait surtout pas rentrer dans l’imitation. Ce qui primait, c’était que l’on puisse croire que la relation se tisse entre Maurin et moi, proposer une retranscription théâtrale qui soit au plus proche de nous.
D’où cette simplicité ?
Ce spectacle est volontairement une forme simple, mobile, qui peut être joué ailleurs qu’au théâtre – et d’ailleurs, nous l’avons joué à l’hôpital de Caen, à l’université, et sur une dizaine de représentations itinérantes.
Pourquoi vous voit-on aussi peu sur scène, vous qui jouez le rôle de Foucault ?
Le projet littéraire de Foucault me plaisait beaucoup : il y a quarante ans, ce livre est passé inaperçu car Foucault a tenu à rester anonyme. On savait seulement que c’était un philosophe célèbre. Il me semblait théâtralement important de l’adapter et d’être dans le même geste : poser les questions dans l’ombre et montrer sur scène le jeune homme. Ce qui compte, c’est la démarche d’attention, de curiosité et de générosité de Foucault. Il fait écrire un livre à un jeune homme qui n’avait rien demandé.
Je communique avec le vrai Thierry Voeltzel par Skype. Il a un drôle de rapport au livre : il en est très fier, le considère comme une trace magnifique de leur amitié, mais n’en fait pas trop. Ce sont les éditions Verticales qui lui ont proposé cette réédition.
Laisser Foucault dans l’ombre permet aussi d’englober les spectateurs, davantage que le quatrième mur. Le geste littéraire de Foucault est comme ça. Il pourrait y avoir quelque chose d’intimidant dans cette relation, et il fallait rassurer le public, lui laisser la place. C’est dans le texte : il faut qu’on voie que Maurin n’a pas forcément demandé à être là, en lumière. Et pourtant, personne n’est accusé ni pris à parti, c’est une discussion publique, et il s’agit de donner envie au public de participer.
Comment avez-vous travaillé avec Maurin Olles ?
Ma rencontre avec lui a été déterminante. Il fallait à la fois un comédien qui ait les épaules et le naturel. C’est le premier spectacle de Maurin à la sortie de l’école de Saint-Étienne, et son assurance est remarquable.
La création s’est faite en dix jours, mais on se connaissait, car je suis le parrain d’une promotion de l’école de Saint-Étienne. On n’avait toutefois jamais travaillé ensemble : la rencontre racontée dans le livre s’est aussi passée théâtralement. Le respect mutuel des deux hommes apparaît dans le livre mais existe aussi dans la réalité. Cela a beaucoup joué sur la justesse du jeu de Maurin.
Comment définiriez-vous le dialogue qui noue Foucault et Voeltzel : c’est une séance de maïeutique ? de psychanalyse ?
C’est avant tout l’histoire d’une amitié, d’une curiosité entre personnes qui se connaissent et se font confiance. Il n’y a rien derrière, ni séduction, ni rapport entre maître et disciple. Il y a bien une histoire physique au début, mais ce ne sont pas non plus des amants. Il ne s’agit pas non plus de transformer l’autre, de lui donner de leçon. Foucault s’interroge lui-même sur sa propre expérience à partir de l’expérience de l’autre.
C’est la fonction même du théâtre… Votre projet a-t-il quelque chose de politique ?
Le théâtre purement politique, au sens militant du terme, ne me touche pas du tout. Le théâtre politique qui met des pancartes est manichéen. Il ne fait que rassurer les gens, on ressort comme on est entré. Pour ma part, je suis touché par des gens qui déplacent des façons de penser, des préjugés, l’air de rien. Je suis plus sensible aux personnes qu’aux idées. Cela nous permet de nous identifier, de réfléchir le monde. Le théâtre, c’est le contact, c’est psychique, c’est charnel, ce sont des personnes. Je fais du théâtre politique, oui, qui passe par l’intime.
C’est le fondement du rapport à autrui ?
Ce qui m’intéresse, ce sont les gens qui questionnent leur rapport à l’autre, à la différence. En outre, passer par la marge, la périphérie permet de comprendre ce qui est important. J’apprécie un théâtre qui n’impose rien aux spectateurs, qui n’a pas de sens unique, didactique. Questionner ce qui n’est pas de l’ordre de la normalité change nécessairement le point de vue sur les choses, interdit d’avoir un jugement hâtif.
Ce spectacle est-il le reflet d’une époque ?
Ce n’est pas un spectacle nostalgique. C’est bien le portrait d’une époque mais aujourd’hui, il résonne d’une façon particulière, en particulier au lendemain des élections. C’est étonnant à quel point ce portrait est dans le présent.
On évoque une époque révolue mais qui ne l’est pas fondamentalement, en particulier chez les jeunes gens, qui réagissent très fort, car quelque chose leur parle directement, maintenant. De plus, Maurin est très engagé politiquement, ce qui crée un rapport constant, un aller-retour entre la chose passée et le présent, m’a beaucoup plu. Les personnes de la génération de Voeltzel, elles, s’étonnent d’avoir pu laisser partir ça.
Êtes-vous vous-même un lecteur de Foucault ?
Je suis né en 1972, j’ai grandi avec un Foucault médiatiquement très présent, avec les gens de la contre-culture. Tout ce qu’il a cherché, toutes ses thématiques me passionnent, mais aussi son intérêt pour l’autre, pour la vie, la question de la liberté individuelle. C’est une figure très impressionnante et des philosophes comme lui manquent aujourd’hui.
Crédits photo: Tristan Jeanne-Valès
Pour en savoir plus:
http://www.comediedecaen.com/programmation/2016-2017/portraits-foucault-letzlove/
http://www.editions-verticales.com/fiche_ouvrage.php?id=369&rubrique;=3