20 avril, vers 20h15, Brest, devant La Carène. Une soirée calme, même les voitures passent sans faire de bruit. Une soirée à entendre les anges voler. Tout autour, ce n’est pas la foule des grands jours, loin de là. Normal, puisque Bertrand Belin ne joue que demain. Lui fera salle comble, c’est presque sûr, mais pourquoi donc les lumières blafardes de la billetterie sont-elles allumées ce soir? Pourquoi aperçoit-on quelques ombres autour du bar? Par une association d’idée que je ne m’explique pas encore très bien, ce tableau pour le moins anodin m’évoque L'Adoration des bergers, de Rembrandt. Peut-être l’idée d’une révélation qui ne serait réservée qu’à quelques privilégiés, à condition qu’ils veuillent bien s’approcher tout près. Rentrons donc, ce n’est peut-être pas par hasard que je suis ici, d’ailleurs…
20 avril, tard, ou 21 avril, tôt, qu’importe. Mes oreilles vibrent encore, quelques acouphènes passagers, j’ai dû bien entendre. Mes pieds vibrent également, la terre a dû bien trembler. Et puis j’ai l’âme à la fois sombre et rieuse, j’ai dû bien comprendre. Je repense à L’Adoration des bergers; pour décrire ce que je viens de vivre, il faut en inverser les couleurs: nous avons d'abord marché d’un pas tranquille à la lumière de la musique éthérée de Thomas Belhom et Cédric Thimon. Une musique douce comme un craquement de vinyle, comme une navigation dans un temps indéfini, dans une espèce de brume légère. De belles boucles à la guitare, un saxophone aérien et voluptueux, et une multitude de bruits du quotidien. Regarder Thomas Belhom fabriquer de la musique, c'est comme regarder un gamin jouer avec des playmobils. Il y en a partout sur la table, et ça raconte une histoire.
Petite halte, avant de continuer le pèlerinage. Mathias Delplanque nous prépare les oreilles. Un son violent et envoûtant à la fois, à la limite de l’explosion pour les tympans, un son qui immobilise par son gigantisme, son aspect nébuleux qui s’organise peu à peu jusqu’à ce qu’un éclair jaillisse, avant de repartir vers le chaos. La «préparation» de l’artillerie avant la charge de l’infanterie, en quelque sorte, euphémisait-on au cours de la première guerre mondiale.
Nouvelle pause, au bord d'un puits. Un puits de Bruit Noir, assourdissant, désespérant, grinçant, dans lequel on se jette sans réfléchir. Et au fond de ce puits, nous avons souri, nous avons ri, même. Très noir. Lorsqu'on commence par chanter son propre réquiem, on peut tout se permettre. Pascal Bouaziz, débarrassé des instruments de Mendelson, se lance dans une contemplation désabusée de la bêtise, du désespoir, des nuages, de Ian Curtis se débattant au milieu d'abrutis. Pour cette seule révélation qu'il n'y a pas de salut, que tout notre monde s'enfonce inexorablement dans un sable mouvant visqueux et sombre, lui compris. Ça fait peur au début, c'est triste peut-être, mais comme rien ne sert de se battre, autant en rire, bien noir, à point.
Primum vivere, deinde experiri. La production du bel album Le Phare de Yann Tiersen permet au label nancéien Ici, d'ailleurs... de garder une grande liberté dans ses choix artistiques, loin de toute étiquette. En 2003, le label se lance dans l'aventure de l'OuMuPo, ouvroir de musiques potentielles, en éditant sa charte, et en la croisant avec l'ouvroir de bande dessinée potentielle, produit six volumes dans lesquels l'amusement et la découverte sont les mots d'ordre. De quoi donner envie de noter dans son agenda la prochaine soirée "carte blanche" que Penn-Ar-Jazz offrira à Ici, d'ailleurs...
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Photo: Juliette Bonhême