Jean-François Bauret, Le Portrait comme lieu d’échange, exposition présentée du 5 septembre au 1er novembre au Centre Atlantique de la Photographie, (Le Quartz, Brest).
On ne s’en rend peut-être pas toujours compte, tant les institutions défendant les artistes semblent parfois inscrites de toute éternité dans notre paysage culturel, mais il faut sans cesse rappeler leur importance, et leur fragilité économique.
Le Centre Atlantique de la Photographie de Brest n’est pas de ces lieux où l’on rentre sur carton d’invitation, mais un espace libre, ouvert aux dialogues les plus constructifs concernant l’art photographique de notre temps.
Depuis septembre est exposée en cet espace précieux l’œuvre de Jean-François Bauret, l’un des plus grands portraitistes français, récemment disparu à 81 ans, un artiste ayant toujours considéré que la photographie était un lieu d’échange, la rencontre entre deux solitudes.
Influencé par Richard Avedon – les fonds noirs, la frontalité, les yeux francs, assumant la pose – Jean-François Bauret conçoit chaque image comme une confrontation entre deux intelligences sensibles, une façon de communiquer d’âme à âme, sans détour.
Ses modèles ayant accepté de venir exposer leur nudité chez lui, dans son célèbre studio labyrinthique des Batignolles, dans le XVIIe arrondissement de Paris, offrent en partage une beauté, une grâce ou d’invisibles défauts qui sont autant de preuves d’une humanité magnifique, à la fois fragile et superbement assumée.
Jean-François Bauret n’a rien d’un puritain, sachant photographier les corps dans leur pouvoir de séduction. Cependant, ses nus sensuels sont toujours dignes, imposant à qui voudrait s’en gausser ou s’en délecter intimement la plus naturelle des fins de non-recevoir. La nudité chez lui, qu’il s’agisse de celle du nain Pieral, d’un transsexuel ou d’une femme enceinte, est aussi politique.
Une photographie de Man Ray semble à l’origine de sa vocation, Erotique voilée – une femme nue cachée par la roue d’une machine, l’avant-bras taché de suie, les yeux clos - que publia Georges Bataille en 1933 dans la revue surréaliste Le Minotaure, si importante pour la sensibilité moderne.
Passé par la publicité – des natures mortes pour Elle, des travaux pour Andrée Putman et la revue Œil – le carnet d’adresse de ce photographe devenu un temps vedette fut très vite rempli des noms les plus prestigieux.
Claude Bauret, sa veuve, Guy Bourreau et François-Nicolas L’Hardy, les trois commissaires de l’exposition du CAP, ont effectué une sélection d’œuvres montrant quelques-uns des immenses artistes ayant posé pour lui, qu’il s’agisse de peintres (Vieira da Silva, Bram Van Velde, Pol Bury, Jacques Villon, Pierre Alechinsky), d’acteurs prodigieux (Laurent Terzieff, Maurice Baquet nu protégé par un violoncelle, Klaus Kinski), de couturiers, chorégraphes, écrivains ou chanteurs immenses (Régine Chopinot, Jean-Paul Gaultier, Roland Barthes, Serge Gainsbourg, Colette Magny).
Pourquoi ces noms, à qui l’on pourrait joindre ceux de Rufus, Gabrielle Lazure, Nathalie Baye, et de tant d’autres? Pour leur aura de célébrités? Certainement, mais aussi pour leur façon de se confronter à l’objectif, et d’apparaître désarmés, aussi nus que les inconnus leur faisant face dans la subtilité de l’accrochage.
On retrouvera dans les catalogues Portraits d’habitants de la ville de Muret (Haute-Garonne) effectués à la chambre en 1992 à la façon d’August Sander ou Les gens d’ici (2004) cette attention portée aux anonymes, photographiés sans aucune condescendance, à hauteur d’homme.
Chaque image, qu’il s’agisse d’un people ou du simple mortel, est un lanceur de fiction.
Bien loin de chercher à dominer ses modèles, on s’aperçoit que Jean-François Bauret leur offre au contraire le pouvoir.
Il incombe à l’artiste, au photographe, de faire l’expérience des limites de la représentation, et du renversement des positions.
Jean-François Bauret, passionné par les phénomènes de gémellité, aura photographié pour avoir la chance d’être vu, non comme un Narcisse, mais pour contempler l’autre en soi, figure du même.
Si le poète fonde ce qui demeure, ses portraits forment une pyramide de regards, un habitat d’humanité nue, et désirable.