Et le spectacle finit, là où il a commencé : caché sous un drap blanc, allongé sur la scène, le petit garçon joue à essayer de devenir mort, comme pour oublier sa tristesse. Mais moi, spectatrice, j’ai envie d’inverser le sort : « on aurait dit que Marcel ne serait pas mort et que les deux petits garçons auraient continué à faire courir les bouchons dans les ruisseaux, les jours de pluie ». Et même que pour une fois, tout le monde aurait gagné, même le deuxième arrivé en bas de la côte. L’innocence aurait été plus longtemps préservée, des milliers de questions auraient encore été posées…
Ce texte puissant, précis, puise sa force dans son style direct, imagé parfois (la bête pleine de poils), cru aussi. Certains passages descriptifs jouent sur la répétition de morceaux de phrases, comme le font parfois les enfants. Cela peut créer des longueurs, mais donne aussi au texte son pouvoir évocateur : les images apparaissent d’elles-même. La mise en scène très sobre de Serge Irlinger va donc comme un gant. Les quelques éléments de décor ne sont dévoilés qu’en temps utile et parfois détournés, habilement, selon les besoins. Le travail principal est donc celui du comédien, Laurent Mascles, qui assume avec brio tous les personnages de ce texte : de l’enfant à l’aguicheuse sœur de Marcel, en passant par l’instituteur et le curé, tous deux proches de l’hystérie… Le travail corporel est juste, précis; la palette de voix déployée est à noter. L’accent de l’enfant-conteur, connoté du sud, donne une tonalité Pagnolesque qui colle à la peau du texte.
Dans ce spectacle, il y a le soleil, mais aussi les ombres qui meurtrissent les enfants.
Transportés dans cet âge, curieux et naïf, plein de bon-sens, on aimerait sentir l’odeur rassurante de l’encre sur les tables en bois et oublier l’impermanence des choses, la disparition des êtres chers. Spectacle sur l’enfance, mais pas nécessairement pour les enfants, il interroge le spectateur sur sa propre part sombre. Il invite chacun à regarder bien en face toute l’absurdité du monde (à chacun de s’essayer à la reconnaître!). « Enfantillages » est une piqûre de rappel, comme une invitation à retrouver un regard enfantin sur les choses : le regard du cœur.