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Pour la 5e édition du rendez-vous hivernal, l'équipe d'Astropolis soigne son public. L'affiche promet non seulement deux belles soirées sur le dance-floor du Bunker Palace, avec des DJ's chevronnés tels Laurent Garnier et Levon Vincent. Des concerts révèleront les nouvelles aventures créatives de musiciens comme Yann Tiersen, Balladur, The Shoes, Carl Craig avec Francesco Tristano. L'électro occupe la cité dès mercredi jusqu'à dimanche matin, sortez de vos couettes, changez de brumes!

Rencontre avec Gildas Rioualen, fondateur et programmateur d'Astropolis, force vive de l'électro en France depuis 20 ans.

Ambiance Keroual 2 - Thomas Langouet

Astropolis est parmi les plus anciens festivals de musiques électro en France, comment expliquez-vous cette longévité ? L'implantation géographique, au bout du monde, est-elle un élément d'explication dans l'affirmation de votre identité?

La Bretagne est depuis longtemps une terre de musiques actuelles avec un regard international grâce à des festivals pointus comme les Trans à Rennes ou la Route du Rock à Saint-Malo. À Astro, nous descendons du pop et du rock et nous avons rencontré les musiques électro avec les scènes de Manchester et de Detroit. La première rave en Bretagne a eu lieu aux Trans en 1992, c'était un changement radical avec de nouveaux repères spatio-temporels par rapport aux concerts de rock. Nous avons embrayé dans le Finistère avec des raves underground, en investissant des lieux différents, des plages, des carrières, des clairières, des châteaux... Le lieu est un élément important dans l'esthétique d'une soirée électro, il contribue à la magie de la fête. Il est évident qu'ici on est bien doté en sites. Notre public n'oubliera jamais les nuits à Keriolet (près de Concarneau) de 1997 à 2000, c'était un cadre magnifique à mettre en lumières et le châtelain était très ouvert d'esprit. C'est une période clé dans l'histoire d'Astro car nous avons accueilli des artistes montants et acquis une notoriété nationale puis européenne.

Il faut se souvenir de la période à laquelle cette culture a éclos chez nous... Le contexte politique national était assez dur, avec des Pasqua et des Debré au pouvoir. Nous étions dans un esprit de résistance, comme le rock l'a été dans les années 70. Mais il nous fallait gagner le chemin de l'institution assez vite, de la mairie la plus proche au ministère pour affirmer cette culture, faire en sorte que les raves sauvages quittent les pages « faits divers » des journaux. Nous avons réussi un travail de médiation important car derrière il y avait une identité à défendre, un secteur à professionnaliser et aussi des emplois. Aujourd'hui, nous avons des partenaires publics importants (ministère de la Culture, Drac, Sacem, Département, Brest Métropole), des couvertures des médias nationaux. Nous devons aller chercher aussi des mécènes, c'est-à-dire des gens qui n'ont plus peur de nous et qui pourraient profiter de notre toile pour cibler les 18-30 ans.

Les détracteurs de l'électro n'y voient pas de la musique mais des effets de sons et de rythmes. D'ailleurs vous n'employez pas le terme de concert. Que leur dites-vous? Comment vous départir de certains clichés?

Pour la plupart des gens, un DJ reste un passeur de disques... Et le public consommateur de substances stupéfiantes. L'ambition première d'un DJ est de créer une ambiance, de raconter une histoire en choisissant les morceaux d'un répertoire spécifique, en les enchaînant d'une certaine manière et en incluant des sons. Il a envie d'emmener son public, de manière survoltée ou plus mélodique, selon différents styles (disco, house, hardcore). Il sait improviser en fonction de ce qu'il ressent dans la salle. Un bon DJ n'arrive pas 5 minutes avant son set, il absorbe l'énergie ambiante avant de se lancer. Certains sont devenus des créateurs de musiques. À Astro, nous avons toujours privilégié la curiosité en ouvrant plusieurs scènes de découvertes au-delà des têtes d'affiche.

Un public suit l'électro, d'autres pas... Comme pour tout, c'est une question d'envie de mixer les cultures, d'enlever des oeillères. Notre public est jeune et festif mais des quadras/quinquas sont fidèles depuis le début. De nombreux musiciens traditionnels s'aventurent aussi vers l'électro, par envie d'expérimenter davantage les rythmiques et le chant. Des grands noms du pop rock ont contribué à faire rayonner l'électro assez tôt, je pense à Björk ou David Bowie aussi.

Dans l'histoire des musiques actuelles, Detroit aux États-Unis est le berceau de l'électro. C'est une ville dure, urbaine, les gens se réunissaient pour porter un message politique, militant. Ces artistes ont migré vers Berlin où l'on écoutait Kraftwerk et où s'ouvraient les premiers clubs électro à la fin des années 80. En France, nous sommes davantage sous l'influence anglaise des années Thatcher (New Order, Dépêche Mode, Happy Mondays, Stone Roses...).

Tout ce mélange, ce mix des gens (rockers, ouvriers, gays) conjugué à une agitation sociale et à une musique qui pouvait être fabriquée aussi par des machines a généré une énergie libératrice.

© Alban Gendrot - http://fb.me/agendrot

En marge des festivals et des soirées, vous avez réussi à mettre sur pied une action culturelle autour des musiques électro, est-ce aussi une démarche militante? À quoi sensibilisez-vous?

C'est un peu la face cachée de notre iceberg. L'action culturelle que nous menons auprès des publics et des artistes découle de cette expérience d'affirmation de l'électro dans le paysage culturel, de professionnalisation de la branche. Les artistes programmés à Astropolis ont aussi animé des masterclass permettant de faire découvrir les machines au jeune public, de leur raconter l'histoire des musiques électro. Des sessions de vidéos mapping, de sampling ou de découverte du logiciel de production Ableton sont proposées en petit groupes et animées par des pros, c'est tout l'intérêt. Nous touchons aussi des personnes plus éloignées comme les handicapés, en trouvant les passerelles adaptées. C'est notre vocation d'expliquer, de passer.

Nous travaillons aussi en direction des réseaux de labels pour accompagner les artistes dans la production, générer des collaborations, expliquer les plateforme numériques.

Notre expérience des raves nous a également sensibilisé très tôt à l'environnement, à respecter la propreté des lieux investis, à réduire nos déchets. Au sein du collectif des Festivals, nous oeuvrons au développement durable. Nous pouvons d'ailleurs faire valoir une expertise car nous sommes consultés par d'autres régions et nous employons désormais trois personnes. Il y a beaucoup à faire encore. On avait bien sensibilisé le public mais on a remarqué un laisser-aller l'été dernier. Une nouvelle génération débarque tous les 3 ou 4 ans et il faut recommencer, trouver de nouveaux outils pour les toucher. C'est un défi permanent!

2014 - Découverte du sampling avec Blutch en maison de quartier

Pourquoi avoir développé une édition hivernale depuis 4 ans ? Comment qualifiez-vous l'affiche de cette cinquième édition?

Nous avions envie d'apporter une énergie festive à l'hiver brestois, janvier est une période creuse dans l'année, cela permet aussi de faire venir de grands artistes très sollicités l'été. La programmation d'un festival d'hiver est sans doute plus soignée car le public est davantage attentif et cela permet de prendre des risques. Grâce à un partenariat avec le Quartz, nous pouvons aussi proposer un beau plateau qu'on ne pourrait pas faire l'été, avec Carl Craig, légende américaine de la techno et Francesco Tristano, pianiste espagnol. La première soirée du festival jeudi, à la Carène, est un concert d'ailleurs. Elle réunit The Shoes qui revient avec un deuxième album électro-pop, aux influences new-wave, house, drum'bass et le nouveau projet électro de Yann Tiersen, ESB. Ce trio, formé avec Thomas Poli et Lionel Laquerrière a travaillé en résidence à la Carène récemment et livrera la version live de l’album « Square, Triangle, Sine », un bricolage sonore de pop intimiste avec claviers et boîtes à rythmes ancestraux, avec des sonorités addictives... Les grandes nuits de Bunker Palace, vendredi et samedi, seront à la hauteur avec de DJ's chevronnés comme Laurent Garnier, Levon Vincent, Terrence Parker...

Il y a aussi matière à voir avec l'expo consacrée au photographe Richard Bellia. Cela fait plus de trente ans qu'il parcourt les scènes du monde pour saisir le portrait d'artistes comme Bowie, Robert Smith, Krafwerk, Joy Division... On s'accorde aussi un temps de projection de documentaires à Passerelle, avec le road-trip Resilience et Sextoy Stories l'histoire de DJ Sextoy (Delphine Palatsi, une DJ qui a fait sa place dans un univers plutôt masculin) sur fond de clubbing underground des années 90 à Paris.

Nous adoptons aussi une configuration plus urbaine que l'été en investissant durablement des lieux comme La Carène, le centre d'art contemporain Passerelle, Bad Seeds Records, une nouvelle échoppe de vinyles à Saint-Martin, notre quartier historique. On occupe la ville un peu partout. C'est aussi l'occasion de mettre en lumière notre action culturelle et d'échanger sur l'évolution de notre profession. Ce n'est pas le même état d'esprit que l'été où le public vient davantage faire la fête et du surf! Mais Astroplis l'hiver c'est une aussi une forte envie de faire une pause libertaire!

ESB 

Laurent Garnier

 

http://astropolis.org/hiver2016/

Propos recueillis par Marguerite Castel

About the Author

Journaliste freelance, Marguerite écrit dans le Poulailler par envie de prolonger les émotions d’un spectacle, d’un concert, d’une expo ou de ses rencontres avec les artistes. Elle aime observer les aventures de la création et recueillir les confidences de ceux qui les portent avec engagement. Le spectacle vivant est un des derniers endroits où l’on partage une expérience collective.

 

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