Concert d’Eugène Chadbourne, café de la Cale, samedi 27 septembre 2014, 19h
Eugène Chadbourne et Arnaud le Gouefflec, qui est son ami, sont tous deux de la catégorie des musiciens permanents. Qu’ils aillent au supermarché, arpentent les halls de gare ou se lavent les dents, la moindre de leurs actions se transforme en musique. Maniant la guitare ou le banjo avec une expressivité et une aisance sidérantes, Eugène Chadbourne né en 1954 près de New York invente une musique à la fois fantasque et ancrée dans ce que l’Amérique a pu produire de plus profond, de la country aux complaintes déchirantes de Vic Chesnutt.
L’underground véritable ne se laisse pas circonscrire.
C’est toujours la même chanson. Lorsque vous entendez un poète, vous savez très bien qu’il se pourrait tout à fait que ce soit pour la dernière fois, tant tenir l’équilibre dans un océan de vulgarité relève la plupart du temps du miracle.
Invité une première fois en 2006 à jouer dans nos contrées avec le groupe Monstre et Jimmy Carl Black, batteur du groupe de Frank Zappa, Mothers of Invention, lors du premier festival Invisible, dont Arnaud le Gouefflec était le moteur, Eugène Chadbourne bricole une musique - et des pochettes de disques faites à la main, à la façon de l’art brut - inspirée aussi bien du punk que du bluegrass, avalant sans aucun complexe tout ce que l’histoire de la musique a pu produire. N’attendez pas de lui que la fourchette soit mise à gauche de l’assiette, quand faire tourner la vaisselle sur une pointe de diamant est indéniablement plus beau.
Il y a de l’enfance dans ce corps lourd pétri par les sons de l’univers et les improvisions jazz, de l’érudition bonhomme, surtout beaucoup de liberté.
Comme pour le cinéaste Raoul Ruiz, autre exemple d’échappée belle, il est impossible de chiffrer précisément le nombre d’œuvres qu’aura déjà produites ce géant sous son nom – plusieurs centaines très certainement - sans compter les collaborations tous azimuts, faisant le cauchemar des supercalculateurs de la Nasa. Le répertoire considérable donne le vertige.
La sensibilité et l’art des nuances sont aujourd’hui en voie d’extinction? N’oubliez pas la théorie des exceptions, quand un soir de septembre, un type seul en scène, multipliant les grimaces bouffonnes et lumineuses, vous offre son invraisemblable musique en toute innocence, et que ce même jour, au détour d’une grève, vous avez croisé une sirène endormie sur son surf que vous n’avez pas osé réveiller.
Tout semble parfois possible, et le lointain si proche. Vous savez aussi que, même lorsque les instruments seront débranchés, le show continuera. La gratitude est une grâce, inscrivant tout geste juste dans l’ordre de l’éternel retour du même.
Les entrepreneurs de spectacles pâlissent quand la grande Amérique s’invite à votre table, et que la musique se donne aussi généreusement, gratuitement.
On présente souvent Eugène Chabourne comme un excentrique. Messieurs les géomètres, revoyez vos plans.
Il y avait beaucoup d’enfants ce samedi au café de la Cale du Relecq-Kerhuon, assis en tailleur ou allongés sur le sol, négligemment, comme des seigneurs. Devant eux, un ami, un frère, le vent de la nature tout simplement.
Un homme, tout l’homme.