Interview des auteurs et interprètes Erwan Morin et Sébastien Baron (L’Insolite Compagnie), en compagnie de Florence Chérel (MYND Productions). Degrés est présenté à la Maison du Théâtre les 15, 16 et 17 octobre 2014.
Natalia Leclerc : Votre spectacle est étiqueté «magie». Comment concevez-vous cet art?
Erwan Morin: Plutôt que de présenter la magie comme un casse-tête pour lequel le magicien possède les clés de l’énigme, nous préférons utiliser la magie comme une technique particulière servant à suggérer ou renforcer notre propos.
Sébastien Baron: Il faut dire qu’on n’est pas du tout dans la magie traditionnelle. Ce n’est pas démonstratif, ni une recherche de performance vis-à-vis du public. C’est un spectacle avec un quatrième mur et la magie y est saupoudrée. C’est un outil plus qu’une fin en soi. Dire que c’est un spectacle de magie est en partie vrai mais aussi réducteur. C’est un spectacle visuel, avec une partie des effets qui sont produits grâce à la magie, ce qui amène des surprises.
NL: Comment avez-vous travaillé pour l’écrire? qu’est-ce qui vous a guidés: le travail visuel ou le récit que vous vouliez faire?
EM: On avait un univers et l’envie d’exploiter ce rapport entre le monde du bureau, fermé, et le monde de la mer, symbole du rêve et de l’évasion. On n’avait pas un scénario préétabli: on avait l’univers, on a construit les chapitres au fur et à mesure.
SB: Comme pour un voyage, on se fait une idée, on s’y prépare, mais le sillage se trace sur le moment, avec les éléments et les conditions que l’on rencontre. Et sur la route, il est bon de pouvoir suivre un cap, le modifier si besoin, et surtout, garder les sens en éveil, qui laisseront place à l’imagination et aux découvertes!
NL: C’est un spectacle où il y a beaucoup de mécanismes?
SB: L’an dernier, on a été six jours en résidence à la Maison du théâtre, et on a passé presque tout notre temps à travailler sur un objet… qui n’est finalement pas dans le spectacle!
EM: La création, c’est plein d’allers-retours. On trouve des images, on travaille les matières, les idées magiques, les objets. Petit à petit, c’est comme un jeu de mécano, ça se construit.
SB: C’est de la recherche.
NL: On a l’impression que c’est un spectacle qui pourrait encore évoluer.
EM : C’est vrai que c’est évolutif, mais il a une telle mécanique derrière le décor…
SB: … qu’il faut déjà s’affranchir de l’objet. Une fois que c’est intégré dans le corps, on peut laisser plus de place à l’acteur et proposer de nouvelles petites choses.
EM: Dans Living, c’était net. On avait des dates disséminées, puis on l’a joué vingt fois d’affilée au Théâtre de la Girandole à Montreuil, ça a été radical, on s’est complètement affranchis de la mémoire. On a besoin de jouer, jouer, jouer.
NL: Vous avez co-écrit ce spectacle?
SB: Oui, et Eric de Sarria a travaillé avec nous. Il vient de la compagnie Philippe Genty, d’où le papier kraft, les matières plastiques, qu’ils utilisent. Il est arrivé avec ses propres outils, et Degrés est le mélange de nos univers.
EM: Initialement, On pensait moins «matières» dans notre travail qu’objets, magie, musicalité, son.
NL: Et comment avez-vous intégré cet apport?
EM: On a développé le travail sur les matières. Par exemple, le kraft a un sens premier: au départ, il sert à emballer des cartons. Et dans ces cartons, il y a aussi des objets emballés dans du film plastique. Puis tout revient. Le kraft sert à la voile du bureau-bateau qui s’en va à la fin, le plastique sert à imager la mer, l’eau qui vient sur le bureau.
On travaille déjà comme ça sur les objets. On les utilise de manière récurrente, ils ont une première fonction, puis ça évolue. Mais ce n’est pas du détournement d’objets: ils prennent un sens symbolique.
NL: Degrés est un spectacle visible dès 6 ans. Comment embarquez-vous les enfants dans cette aventure vécue par des adultes?
Florence Chérel: La force du spectacle, c’est la poésie. Les enfants captent tout ce qui est visuel. Les adultes sont touchés par la poésie, le symbolique. Ils trouvent agréables ce moment de suspension. On a l’habitude d’être dans une ère où tout va vite, où il faut envoyer dix images par seconde. Alors que Sébastien et Erwan ont un rythme plutôt tranquille. Les gens se posent et rentrent dans le voyage.
NL: Est-ce un spectacle comique?
FC: Le spectacle fait sourire, mais il n’y a pas du tout de recherche du gag.
EM: J’ai l’impression que le rire vient quand il y a des effets un peu magiques. Mais ce sont des rires qui interviennent non pas quand c’est drôle, mais quand c’est incompréhensible, décontenançant.
SB: On est dans la rêverie, la poésie, qui prend sens aussi par la dramaturgie.
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