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La soirée du 22 novembre 2016 au Vauban promet d’apporter une stimulation des neurones, de papilles et de l’imaginaire, et peut-être de manière moins successive que simultanée! En avant-goût de ce moment savoureux et riche, découvrez les ingrédients que Gigi Bigot intègre dans sa conception du conte, assaisonnée de recherche universitaire et de pratique de terrain, aux côtés de l’association ATD Quart Monde.

 

Vous définiriez-vous comme une conteuse engagée, et si oui, comment définissez-vous votre engagement ?

Dès que l’on prend la parole, on se positionne. Ne dire que de l’anecdotique est aussi une manière de se positionner… En ce qui me concerne, j’ai pu me rendre compte au fur et à mesure de mon cheminement professionnel que l’artistique me donnait une place et que de cette place, je pouvais, grâce à mes histoires et notamment grâce au langage symbolique, partager mon regard sur le monde. L’engagement est à prendre au sens large et pas seulement au sens politique à moins de considérer que le poétique est politique.

Là, d’accord !

Comment s’est conjugué votre engagement auprès d’ATD Quart Monde et votre pratique de conteuse ?

Ils se sont conjugués et nourris mutuellement. C’est toujours de ma place de conteuse que j’ai milité dans ce mouvement. Ma recherche universitaire sur la plus-value de la parole symbolique et surtout sa cohabitation avec l’informatif, le témoignage, l’analytique a formalisé mon engagement auprès d’ATD. Mon engagement est devenu recherche et ma recherche est devenue engagement et ce n’est pas fini…  

Cet engagement vous semble-t-il lié à l’évolution contemporaine du conte, ou a-t-il toujours fait partie de son histoire ?

À travers les contes, les hommes de toutes les cultures ont cherché. Ils ont posé des questions. Ils ont mis au jour notre complexité d’humains, nos rêves, notre violence. Ils ont dit le monde, intérieur autant qu’extérieur. Luda Shnitzer, conteuse russe décédée il y a peu, disait « Ce sont des avertissements aux grands que lance le conte populaire, en même temps qu’il incite les petits à prendre conscience de leur force. »

Qu’est-ce qui vous a conduite à poursuivre des études en sciences de l’éducation ?

J’ai choisi sciences de l’éducation parce que j’ai enseigné pendant vingt ans auprès d’enfants en difficulté. Je me suis inscrite à l’université à soixante ans parce que je souhaitais un cadre pour approfondir cette question sur la force de la parole symbolique perçue d’abord de façon empirique tout au long de mon compagnonnage avec le conte et souvent réduite à un cliché niais.

Quelle est la portée sociale du conte ?

Les contes ont autant une portée sociale qu’une approche psychanalytique. Il y a un genre de contes populaires par exemple que j’appelle contes de malice du pauvre : le héros, celui qui a le moins, va se révéler plus fort que le puissant grâce à une répartie astucieuse. Ces contes pleins d’humour sont l’inverse du misérabilisme.

Comment construire un univers imaginaire tout en s’ancrant si fortement dans le réel ?

C’est d’abord en ayant un thème, un sujet, une envie d’en découdre, comme dénoncer les injustices sociales en ce qui concerne ATD. Ensuite il s’agit de pousser les images symboliques une fois que le réel est planté. Par exemple, à partir de l’expulsion d’une famille du Musée d’Orsay pour cause de mauvaise odeur, fait réel déclencheur de la loi sur la discrimination sociale, nous imaginons et relatons une exposition réaliste de tableaux sur la misère mais nous faisons sortir des tableaux les personnages pour qu’ils rejoignent dans la rue la famille expulsée. Et comme on n’est pas gênés, nous y faisons intervenir aussi Victor Hugo et Joseph Wresinski, le fondateur du mouvement ATD Quart monde. Nos images irréalistes disent notre désir d’un monde meilleur. Un bon conte vaut parfois mieux qu’un long discours…

Comment distinguez-vous parole symbolique et parole rationnelle, et comment se tissent les rapports entre les deux paroles ?

La parole rationnelle (analyse, journalisme, sciences) est celle qui s’adresse au mental, au cérébral. La parole symbolique, comme le rêve ou le conte, s’adresse à l’inconscient. Les deux se tissent sans opposition dans un récit, comme dans la vie. Elles se complètent et participent à notre humanité.

Vous évoquez la communication d’inconscient à inconscient : quels en sont les mécanismes ?

Le langage symbolique des contes et des rêves s’adressent à l’inconscient et non pas au mental. Ce langage va avoir des effets déclencheurs là où le mental, le cérébral ne vont pas opérer. Tout ce qui est de l’ordre du ressenti (peur, désir…) va s’exprimer plus justement grâce au langage symbolique. Il nous fait regarder au prisme de la faiblesse. D’où ma définition favorite : le conte est un mensonge pour mieux dire la vérité.

Le rapport au public est-il différent lorsqu’on a cette dimension militante à l’esprit ?

Non. Seule l’envie de partage et de voyager ensemble est prégnante. D’abord susciter l’envie chez les spectateurs de s’accrocher à leur morceau de lune. On n’est pas des missionnaires… Higelin disait qu’un artiste est là pour ensoleiller la vie, pour la montrer sous un jour qui donne du courage.

Comment définiriez-vous les rapports entre le conte et l’humanisme ?

Il n’y a pas plus humain que le conte. C’est notre espéranto, notre langage commun. Toutes les cultures ont inventé des contes. Ceux-ci ont circulé d’un pays à l’autre en endossant son costume « culturel » donc en l’adaptant à ses us et coutumes ce qui donne nombre de versions différentes. C’est ce travail que nous continuons à notre petite mesure, nous les néo-conteurs.

Quels sont les étapes les plus importantes de votre parcours de conteuse, au regard de toute cette réflexion que vous menez et développez ?

Toutes les étapes sont importantes et ont été nécessaires pour chercher là où je cherche aujourd’hui. Cependant deux spectacles m’ont fait sauter aux yeux la richesse de la cohabitation parole rationnelle/ parole symbolique : mon spectacle sur la mort intitulé C’est drôle la vie que j’ai joué dans des lieux hors du milieu culturel, par exemple lors d’un colloque sur les soins palliatifs, lors d’une rencontre organisée sur le deuil après la mort d’un enfant etc. Les personnes présentes étaient là d’abord pour échanger sur le sujet en question. Le spectacle était « en plus » et venait ponctuer cette réflexion grâce à la parole symbolique.  Même expérience avec mon spectacle Peau d’âme qui rendait compte (conte?) de l’internement des femmes pendant la guerre 39-45. Ces femmes internées (antinazies allemandes, républicaines espagnoles, juives, résistantes) avaient d’ailleurs choisi le conte de Blanche-Neige pour parodier leur situation. Ni historienne, ni journaliste, ni témoin, tout en respectant les événements historiques, j’ai usé de la parole symbolique pour me positionner et rendre hommage à ces femmes « superbes et entêtées ». Ce spectacle a ponctué des colloques sur les femmes et la Résistance, sur les enfants cachés, etc. Angelita Bettini, née en 1922, elle-même internée pendant quatre ans, m’a accompagnée lors de ces colloques rassemblant des historiens, des militants de la Mémoire mais également lors de représentations culturelles classiques (au théâtre, à des festivals de conte etc.). Lorsque les deux paroles, informative et symbolique, se mélangent, chacune éclaire l’autre, la met en relief. Il n’y a aucune contradiction, au contraire. Nous pouvons parler de feux d’artifice !

Soirée au Vauban le 22 novembre 2016 de 19h à 22h en trois temps: conférence, pause gourmande et contes.

Pour en savoir plus: 

https://associationadao.files.wordpress.com/2016/10/livret_v6_bat_3.pdf

Retrouvez ici l’entretien de Gigi Bigot par la webradio Oufipo : http://oufipo.org/Gigi-Bigot-La-force-de-la-parole.html 

Et ici, toutes les interviews et reportages du festival : http://oufipo.org/2016-Festival-Grande-Maree.html 

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About the Author

Notre agrégée de lettres passe en revue tous les articles, les relit, les corrige. Elle écrit pour différentes revues des articles de recherche en littérature et sciences humaines et s’appuie également sur ses multiples casquettes pour développer les partenariats du Poulailler, en russe, en français, en italien… Natalia pratique le théâtre amateur et bavarde à longueur de journée (en russe, en français, en italien…).

 

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